No catalogue 063001
Crédit photographique : © Fondation Félix Vallotton / SIK-ISEA (photographie : Jean-Louis Losi)
Droits : Réservés
Aux champs
Aux champs
- Tout ça, c'est point de la Justice, père Bridu, c'est d'la politique!...
Autonome
La seule contribution de Vallotton au numéro inaugural du Sifflet, la scène de deux paysans commentant l’actualité tout en bêchant leurs terres, se lit sans détour : l’Affaire Dreyfus, et plus encore sans doute l’épître d’Émile Zola au président de la République le 13 janvier 1898 et ses conséquences, ne laisse dupe personne qui ne soit de bon sens. Ainsi le paysan, loin des coteries et de la cohue de la capitale, ne confond pas justice et politique. La parole « aux champs », titre de ce dessin, est plus sensée que celle à la ville. Notons que Le Sifflet est une revue satirique d'obédience dreyfusarde dont les caricatures répliquent, parfois en les singeant, à celles parues dans Psst...!. Si Vallotton ne mime pas ici de caricature de Psst...! c’est qu’il semble bien plus intéressé à illustrer l’injustice qui sous-tend l’Affaire.
Plastiquement, il opte pour un trait gras qui cerne les figures, dessinées comme d’un seul jet, et qui semble naître de la terre dans laquelle disparaissent leurs sabots. L’accent est mis tout particulièrement sur la tête et le torse des personnages, dont les profils creusent un aplat blanc qui flotterait s’il n’était lui-même moulé par un rectangle non tracé, suggéré par un ciel aussi sombre qu’un encrier.
Enfin, pour la réception de ce dessin et de la revue plus généralement, nous nous en remettons aux observations de John Grand-Carteret, lequel écrit en 1898 : «Toutefois, ce ne sont point uniquement images jetées au vent, car en ce Sifflet apparaît la vraie caricature de circonstance, […], la caricature qui plane, la caricature qui remonte à la source, qui s'attaque au mal lui-même, au lieu de tomber uniquement sur tel personnage transformé en bouc émissaire. La voilà sous le monogramme bien connu d'un artiste qui se complait habituellement aux notations de la rue, F. Vallotton. C'est simple et c'est précis. De leurs mains calleuses deux paysans labourent le vieux champ de France, terre toujours féconde, arrosée du sang de tant de martyrs; ils se sont arrêtés, debout, face à face, et, malicieusement, l'un lance à l'autre cette vérité que tout le monde, aujourd'hui, perçoit: «Tout ça, c'est point de la Justice, père Bridu, c'est de la politique.» Voilà ce que la caricature, l'éternelle justicière, devait enregistrer, et ce sera l'honneur de Vallotton d'avoir continué la grande tradition des Daumier, des Traviès, des Henry Monnier, des Grandville […].» (John Grand-Carteret, L'affaire Dreyfus et l'image. 266 caricatures françaises et étrangères, Paris : Flammarion, 1898, p. 32).
Ch. Blot
Monogrammé en bas à droite
Dessin de F. Vallotton
1898LRZ367
«Dessin p Ie Sifflet»
1898
«Dessin p le Sifflet 100»
John Grand-Carteret, L'affaire Dreyfus et l'image. 266 caricatures françaises et étrangères, Paris, Flammarion, 1898, p. 32
St-James, 1979, no 107