La revue Ah! La Pé... La Pé... La Pépinière!!! est donnée en décembre 1893 au Concert de La Pépinière

Dans le contexte de l’affichomanie qui règne à la fin du XIX^e siècle, les deux affiches de Vallotton créées en 1892 et 1893 – Le Plan commode de Paris et Ah ! La Pé... La Pé... La Pépinière !!! – ne manquent pas d’être mentionnées dans deux ouvrages publiés l’un à Londres en 1895, l’autre à Paris en 1896. Le premier est signé Charles Hiatt, historien et éditeur d’affiches, le second Ernest Maindron, pionnier de l’histoire de l’affiche illustrée.

Ernest Maindron en livre le commentaire suivant : « M. Vallotton n’a à son actif que deux affiches seulement : l’une pour le Plan commode, l’autre pour la Pé, la Pé, la Pépinière, où l’on semble s’amuser ferme. Ces deux affiches sont originales, mais sans aucun doute, l’auteur n’est point un amant de la belle nature, la distinction des formes n’est point son lot : depuis longtemps, il a oublié l’Apollon du Belvédère. On prétend que nous possédons aujourd’hui une ‹ école déformiste › : M. Vallotton est un peu de cette école-là, mais il en est avec sincérité et avec esprit. Ces personnages sont courts, bouffis et bedonnants ; bien vivants néanmoins, ils font involontairement penser à des êtres imparfaits qui, ayant renoncé depuis longtemps à la marche, rouleraient vers leurs affaires, remuants et bruyants. Le trait lourd, écrasé de M. Vallotton convient à merveille aux types créés par son imagination ou incidemment rencontrés par lui. » (Maindron, 1896, p. 114).

En décembre 1893, la revue Ah ! La Pé... La Pé... La Pépinière !!! est donnée au Concert de La Pépinière, dans la rue homonyme, proche de la gare Saint-Lazare. Composée de deux actes et de quatre tableaux, elle a été créée par le parolier Albert Pajol (1859-1932) – commanditaire de l’affiche selon le Livre de comptes de Vallotton – et par l’auteur de vaudevilles Adolphe Couture, dit Couturet (1869-1945). L’auteur du compte rendu non signé « La Pépinière », publié dans la rubrique « Courrier des concerts » de L’Orchestre. Revue théâtrale et financière du 19 décembre 1893, rapporte : « il n’y a que des clous dans la pièce de MM. Albert Pajol et Adolphe Couturet. Je citerai en courant les prisons sanitaires, les médecins, les candidats de 1900, Sarah-Bernhardt, la danse animalière dans la cage aux ours, le ballet franco-russe. »

Au lieu de s’inspirer d’un des nombreux sujets brocardés dans la revue, Vallotton fait le choix de montrer les réactions d’une portion de spectateurs, tous masculins, dont certains applaudissent, d’autres chantent, voire crient. En maintenant le spectacle hors-champ, il exploite habilement la fonction publicitaire de l’affiche, comme le souligne Charles Hiatt en 1895 : « It has been the good fortune of Vallotton to produce at least one poster which is excellent from every point of view. Nothing more appropriate to the advertisement of a frivolous burlesque than his ‹ Ah ! la Pé. la Pé, la pepinière › could well be imagined. It represents a characteristic audience at a theatre convulsed with laughter at what is taking place on the stage. The variety of expression on the faces of the spectators is infinite, and the effect of the whole thing is as mirthful as may be. From the advertiser’s point of view, I can conceive nothing more completely satisfactory. It exists in colours and in black, and the latter is the rarer. » (Hiatt, 1895, pp. 123-124). À notre connaissance, la version noir et blanc n’est pas l’affiche mais une réduction (fig. A), utilisée comme couverture des « Principaux couplets & rondeaux chantés dans la revue dite Ah ! La Pé… La Pé… La Pépinière !!! ».

En mai 1898, Ah ! La Pé... La Pé... La Pépinière !!! est l’une des quatre affiches reproduites en chromolithographie dans Les Maîtres de l’affiche. Publication mensuelle contenant la reproduction des plus belles affiches illustrées des grands artistes, français et étrangers, éditée par L’Imprimerie Chaix, Paris (planche 119).

Quelques années plus tôt, on apprenait par une réclame parue dans La Plume du 15 avril 1894 que le libraire Georges Brunox proposait à la vente des « Affiches nouvelles modernistes, sensationnelles », parmi lesquelles, au prix de deux francs, « Ah ! La Pé… La Pé… (Expression de joie superlative des spectateurs) ». Le même Brunox vendait aussi « la Composition originale elle-même (signée) 140 fr. », dont ne subsiste aucune trace aujourd’hui. Était-elle complète, avec l’image et la lettre ou s’agissait-il uniquement du motif ? Nous l’ignorons.

La réapparition de cette composition originale permettrait de déterminer la technique de réalisation de l’affiche, qui ne porte aucune indication d’imprimeur. Les auteurs du catalogue raisonné de l’œuvre gravé de l’artiste (Vallotton et Goerg, 1972) l’ont considérée comme une lithographie. Toutefois, Vallotton n’indique la technique mise en œuvre ni dans son Livre de raison ni dans son Livre de comptes, alors qu’il le fait systématiquement pour toutes ses lithographies. Les caractères, à l’évidence dessinés de sa main, n’ont pu être reproduits que par un procédé photomécanique. Vu l’ampleur du texte qui figure sur l’affiche*, on imagine en effet difficilement comment il aurait pu écrire toutes ces lettres à l’envers sur la pierre. Vers 1900, la société américaine Ault & Wiborg, fabricant d’encres lithographiques, a produit une centaine d’affiches publicitaires, qui sont en partie réunies dans Poster Album, un ouvrage publié en 1902. Certaines sont des créations d’artistes faites sur commande, d’autres des reprises d’œuvres préexistantes, par exemple la lithographie d’Henri de Toulouse-Lautrec, Au Concert (1896). La réutilisation à des fins publicitaires par Ault & Wiborg du motif seul de Ah ! La Pé... La Pé... La Pépinière !!!, sans la lettre, et sans la signature de Vallotton (fig. B), laisse entendre que l’affiche a été exécutée et imprimée en deux étapes, pour qu’elle puisse donner lieu à un tirage avant la lettre.

*« AH ! / LA PÉ... LA PÉ... / LA PÉPINIÈRE !!! / REVUE / en deux actes et quatre tableaux de M.M. / ALBERT PAJOL et ADOLPHE COUTURET / AIRS NOUVEAUX MUSIQUE ARRANGÉE et BALLET de M. JACOUTOT / Costumes dessinés par JAPH ET exécutés par M^me Louise CAFFARD, décors da M. MÉNESSIER / DISTRIBUTION / M. M^mes DAMOYE, la Pépinière – MELRY la Mère Python, la Brigadière, 1^re Coltineuse, la France – DELLY-MÔ, l’Omnibus nocturne, 3^me Agent, Un Poney, le sou Italien, la Russie – JAMES, Marchande de poissons, l’Ouvreuse, / DEBAY, la Buvette, 2^me Agent, Un Poney, le sou Anglais, Madame Satan – EMILIENNE Une Artiste, Un Python, Un Poney, la Prétentaine – TERVILLE, la Ridicule, 1^er Agent, Un Poney, le Baiser – KERSIN, l’Habit noir, Un Jockey, l’Affiche Artistique / MONTIGNY, un Télégraphiste 4^me Agent, 2^me Coltineuse, la Perruche, le Chat du Diable – CARBET, l’Avre, l’habit jaune, Un Jockey, la Demoiselle des Postes – SAINT-LOT, la Folliculaire, l’habit vert, Un Jockey, la Valkyrie, la Paix – MARTHELETTY, Un Python, la Parisienne / DALIGNY, Un Python, l’Habit rouge, Un Jockey, l’Orthographe. / M. M^rs RANSARD, le Boulevard – HELT, le Régisseur, l’Envouteur, 2^me Médecin, le Dompteur – DUREL, Un Monsieur, Un Cocher, 5^me Médecin, Un Candidat, 1^er Napoléon – MAX-HIM, le Soleil, l’Ambulancier, 3^e Médecin, Un Candidat, le Beau bat-d’l’air / ALBENS, le Paysan, Un Soldat, Un Malade, Sarah – RENNEVAL, le Chef d’Orchestre, Paris, 2^me Médecin – FERNANDEZ, Un Machiniste, Un Vitrier, Un Marin Belge, Un Gardien, l’Académicien, Un Candidat, Deuxième Napoléon / DESFORGES, Un Pompier, Un Détenu, 4^e Médecin, Un Candidat, Un Ours – LUCIEN, Un Marchand d’habits, Un Soldat, Un Afficheur, Un Ours, / Tous les soirs à 9 1/2 h. DIMANCHES et FÊTES MATINÉES à 2 HEURES / CONCERT de la PÉPINIÈRE (près la gare S^t Lazare.) / PAJOL & C^IE ÉDITEURS 27, Rue Bergère. »

La feuille mesure 130 x 94 cm

Pajol & C^ie Éditeurs. 27, Rue Bergère.

Le titre fait partie intégrante de l'illustration.

1893LRZ167

«Affiche la Pépinière»

1893

«Affiche la Pépinière p. M. Pajol 75»

Hiatt, 1895, pp. 121 (repr.), 123-124

Charles Saunier, «Les Affiches illustrées», Revue encyclopédique, n^o 114, 1er septembre 1895, p. 328 (repr.).

Maindron, 1896, p. 114

Meier-Graefe, 1898, p. 61

J. Roux, «Beaux-Arts. L'art de l'affiche et ses derniers chefs-d'œuvre», Revue des revues, 1^er janvier 1899, pp. 30, 32 (repr.)

Fegdal, 1931, p. 30

Vallotton et Goerg, 1972, n^o 236, p. 267

Morel, 2001, p. 196

Morel, 2002, p. 21