En relation avec le thème du numéro: les bleus (jeunes recrues)

Ce premier dessin de Vallotton publié dans Le Rire illustre la couverture du quatrième numéro du périodique. L’artiste exécutera encore cinq autres couvertures qui, à la différence de celle-ci, seront toutes assorties de légendes. Des échanges épistolaires attestent que ces dernières sont dues à Jules Renard, tout comme celles des dessins reproduits dans le corps du périodique. Le 30 novembre 1894, soit à la veille de la parution de ce numéro, Jules Renard fait sans doute allusion à ce dessin prêt à paraître lorsqu’il écrit à Félix Vallotton : « Bien réjouissantes, vos figures sans nez du Rire » (Documents, vol. I, lettre 59, p. 118).

Dans un numéro entièrement consacré aux jeunes recrues (les bleus), ce dessin fait écho – de manière très contrastée – à celui d’Henri Pille (1844-1897) situé en quatrième de couverture et intitulé Bleus d’autrefois (fig. D). Vallotton nous montre une foule d’ouvriers – dont trois portant leur gamelle – qui défilent en bon ordre sous l’œil de militaires vers leur usine, comme les soldats défilaient autrefois. Cette foule nécessite d’ailleurs une régulation de la marche par des militaires.

Vallotton a exécuté un premier dessin (fig. A) où la foule se dirige vers la gauche, une solution graphique inappropriée pour la couverture d’une publication qui se feuillette de droite à gauche. Erreur de débutant, cette première version est abandonnée. En 1895, on lit dans le Livre de raison de l’artiste : « Ies bleus. dessin à M. Cottet. » (LRZ 237), mention qui a pour corollaire dans le Livre de comptes : « dessin ‹ les bleus › à M Cottet 15 ». Dans les deux cas, il s’agit probablement de ce dessin préparatoire, car dans le Livre de comptes la composition définitive pour la couverture, tournée dans le bon sens, aurait été assortie du nom du commanditaire, Le Rire, à l’instar du dessin original, non identifié, dont la vente est citée en 1895 : « dessin du Rire 20 ».

Cette première illustration livrée au Rire permet de reconstituer le processus conduisant de l’exécution du motif à sa reproduction en couleur dans le périodique. L’original, un dessin à l’encre de Chine (fig. B), est remis au journal qui, au moyen d’un procédé photochimique sur plaque de zinc, en tire une reproduction photomécanique en noir et blanc au format exact de l’illustration en couverture de la revue (voir un exemple ici). Ce tirage d’essai est confié à l’artiste pour qu’il lui ajoute de la couleur, dans le cas présent, à l’aquarelle (fig. C). C’est cette version coloriée qui sert de modèle au graveur, dont la tâche consiste à réaliser un cliché pour chacune des couleurs de base (bleu, jaune, rouge) nécessaire à la reproduction des teintes indiquées par l’artiste. La superposition des trois couleurs plus le noir permet d’obtenir l’image en couleur via le procédé de la chromotypographie (sur cette question, voir Raymond Bachollet, « Les couleurs du Rire », Le Collectionneur français, n^o 198, février 1983, pp. 13-15 et Bachollet, 2003, p. 63).

Garnier & Cie Sc

Dessin de F. Vallotton

Non cité

1894

«Dessin p le Rire 60»

St-James, 1979, [p. 7], n^o 16

Morel, 2001, pp. 191, 200

Morel, 2002, p. 61