No catalogue 026002
Crédit photographique : © Fondation Félix Vallotton / SIK-ISEA (photographie : Philipp Hitz)
Droits : Réservés
En relation avec le texte éponyme (commentaire de Jules Renard)
Été est paru en deuxième page du numéro de Nib constitué de « Dessins de Félix Vallotton, commentés par Jules Renard ». Le texte de Renard reprend, avec des modifications, une partie de La Mer, nouvelle publiée en 1894 dans Le Vigneron dans sa vigne. L’écrivain y ajoute des éléments qui se réfèrent spécifiquement au dessin de Vallotton, dont une allusion directe au dessinateur (« Il se peut que le hardi Vallottos ait supprimé les chaussures. ») :
« – J’ai peur. / – Allez donc, ma petite dame, ce n’est pas la mer à boire. /
– Je fais la planche. / – Comme une planche, chère belle, et rien de vous ne dépasse le niveau de la mer. /
– Elle rit tellement, qu’elle laisse tomber une goutte d’eau dans Ia mer. /
– Le bel anneau de corail sur la mer ! / – C’est ma bouche, monsieur, ôtez votre doigt. /
– Que j’aime me sécher au soleil ! / – Prenez garde, on trouvera un dépôt de sel dans vos salières. /
– La mer me fait mal aux yeux, je ne peux pas regarder la mer. Dans mon voyage de noces, j’ai vu toute la Côte d’azur en tournant le dos à la mer. /
– Pour moi, c’est réglé : chaque fois, le spectacle grandiose de la mer ‹ m’avance › de huit jours. /
– Au coin, à gauche, un écumeur de mer sort de la mer, tandis qu’un prêtre y court laver son âme. /
– Cette femme accroupie veut elle-même oindre son enfant d’huile et le frotter de galets pour qu’il sorte vainqueur de la lutte dans la palestre. /
– Et voilà les philosophes cyniques. D’un geste grave, ils ont, pour la décence, relevé, passé sur leur poitrine et jeté derrière l’épaule, le pan d’une couverture grossière. Ils ne portent point de chaussures. Est-ce inadvertance d’artiste ? Certain savetier reprit Apelle pour avoir omis l’un des œillets d’une courroie de sandale. Pline cite une statue qui avait une semelle sans attaches. Il se peut que le hardi Vallottos ait supprimé les chaussures. / Mais plutôt, les cyniques s’exercent à marcher pieds nus. Leurs doigts semblent d’informes racines. De leur méprisable chevelure il ne reste que quelques boucles étirées. Ils comparent à la mer la mer intérieure des passions humaines, et mesurent l’éternité avec les grains de sable de la mer. »
Pour l’interprétation de ce dessin et de son commentaire, nous nous en remettons à l’analyse qu’en fait Clément Dessy : « C’est une réflexion plus vaste qui est fournie au détour d’un dialogue sur une autre scène, celle de la plage : [...] Peintre attitré d’Alexandre le Grand, le personnage d’Apelle est une figure symbolique importante dans l’histoire de la peinture. Sa légende, transmise par Pline l’Ancien, fournit un récit fondateur au pouvoir de l’acte pictural. Renard fait allusion à un épisode qui a trait à la question de la mimèsis. Un cordonnier aurait reproché à Apelle d’avoir omis un détail matériel dans sa représentation d’une sandale, aussitôt corrigée par le peintre. Il en aurait tiré un argument pour étendre son jugement à l’ensemble de son œuvre en critiquant la jambe. Apelle, par boutade, aurait répliqué en invitant le cordonnier à cantonner son jugement à son domaine de compétence, le limitant par conséquent à la hauteur des chaussures (‹ Ne sutar supra crepidam ›). Cet épisode illustre la tension entre la valeur de l’art et sa mesure par le spectateur à l’aune de ses qualités imitatrices. Renard rappelle que d’autres ont commis de plus graves entorses au réel, dont un sculpteur ayant représenté des sandales sans aucune lanière. Vallotton, au nom hellénisé, plus ‹ hardi › que les autres, aurait franchi une étape supplémentaire dans les libertés prises à l’égard du réel (et donc, de l’assentiment public) en ôtant complètement les chaussures... Tout cela est fondamentalement ironique, car la nudité des pieds sur une plage est tout à fait réaliste et son caractère mimétique devrait être incontestable. Renard se sert donc avec humour d’un prétexte frauduleux pour décrire le rôle du ‹ hardi Vallottos › dans l’histoire de la peinture. » (Clément Dessy, « Nib par Jules Renard et Félix Vallotton : une réinterprétation des rôles », in : Dessy, 2015/1, pp. 93-96).
La titraille du numéro se trouve sur cette deuxième page avec le mot « Nib » typographié, un cas unique, puisque le premier et le troisième numéro de l’éphémère supplément de La Revue blanche ne comportent que le titre dessiné, respectivement par Henri de Toulouse-Lautrec et Pierre Bonnard.
Été a fait l’objet d’un tirage à part de même format que sa reproduction dans Nib. Exposé du 10 mai au 10 juin 1895 à la Galerie Laffitte sous le numéro XI (« Été, par Vallotton ») dans la section « Publications de La Revue blanche », il se vendait 2 francs.
«Dessins de Félix Vallotton, commentés par Jules Renard» (page 2)
Le titre est celui sous lequel le tiré à part a été exposé
Voir fiches liées
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Morel, 2001, p. 201
Morel, 2002, p. 81
Clément Dessy, «Nib par Jules Renard et Félix Vallotton : une réinterprétation des rôles», in: Dessy, 2015/1, pp. 93–96
Cette illustration a fait l'objet d'un tiré à part, de même format que la reproduction dans Nib, imprimé sur des feuilles de dimensions variables.