Autonome

L’Âge du papier, dessin de presse le plus célèbre de Vallotton, est aussi le premier à être consacré à l’affaire Dreyfus. Dans son ouvrage L’Affaire Dreyfus et l’image paru en 1898, John Grand-Carteret le reproduit en frontispice avec pour légende : « Ceci se passe de tout commentaire. Ce fut jadis le titre d’un volume. Ce sera, très certainement, le qualificatif attribué à notre siècle. / Ici le crieur, là le lecteur, ici le marchand, là le consommateur. Toute la synthèse. / Que de papier ! que de papier ! Et dire que tout cela est destiné à la hotte du chiffonnier. / Demandez L’Aurore, Les Droits de l’Homme, Le Jour, La Patrie. / Demandez Le Canard, Le Fumiste, journaux de demain. »

La une de L’Aurore au premier plan, qui présente J’accuse…! Lettre au Président de la République par Émile Zola, date la scène du 13 janvier 1898. Celle-ci offre ainsi un témoignage à chaud de l’onde de choc provoquée par la publication de la lettre ouverte d’Émile Zola au président Félix Faure.

Vallotton montre un amas de journaux – L’Aurore, Le Temps, Le Journal, Le Soir – lus à la terrasse d’un café par des hommes coiffés de hauts-de-forme. À l’arrière-plan se presse une foule compacte de vendeurs de journaux à la criée. À cette saturation graphique, annonciatrice de la surmédiatisation de l’affaire Dreyfus – une première en France –, répond le titre lapidaire : allusion à une nouvelle grande période de l’histoire, celle du papier, du papier journal en l’occurrence, succédant à l’âge du bronze et à l’âge du fer, notamment.

À en croire son Livre de comptes, Vallotton a vendu trois dessins originaux réalisés pour Le Cri de Paris : deux en 1899 (« Dessin orig. du Cri de Paris vendu par Hessèle 30 » et « Dessin Cri de Paris vendu rue Tronchet 40 ») et un en 1901 (« Dessin Cri de Paris a Hessèle 25 »). Charles Hessèle (1856-1931) était marchand d’estampes et éditeur. Le dessin original de L’Âge du papier (fig. A) est très certainement l’un des deux vendus en 1899. Avant d’entrer dans les collections du Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne en 2016, il était la propriété des descendant·e·s du docteur en médecine lyonnais Charles Audry (1865-1934), premier titulaire de la chaire de dermatologie et syphiligraphie à l’hôpital de l’Hôtel-Dieu à Paris en 1899. Une inscription au dos du cadre indique que celui-ci l’avait reçu d’un dénommé Courtaud.

Dessin de F. Vallotton

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John Grand-Carteret, L'affaire Dreyfus et l'image. 266 caricatures françaises et étrangères, Paris, Flammarion, 1898, frontispice

St-James, 1979, n^o 45

Boyer, 1988, p. 48

Sasha M. Newman, «Introduction», in: Félix Vallotton, 1992, pp. 29-30, 33

Morel, 2001, p. 199

Morel, 2002, p. 58

Anne-Marie Bouchard, «L’expérience individuelle d’une image reproduite massivement. L’illustration de la presse et la réalisation du monde», Textimage. Revue d'étude du dialogue texte-image, Le Conférencier, n^o 1 (« L’image répétée »), octobre 2012 (publication en ligne)

Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne. Guide de la collection, avec des textes de Bernard Fibicher, Catherine Lepdor, Camille Lévêque‑Claudet, Laurence Schmidlin, Nicole Schweizer et Camille de Alencastro, coédition MCBA, Lausanne, Musée cantonal des beaux-arts / Zurich, Scheidegger & Spiess, 2020, pp. 53-54.