Logo de la fondation Félix VallottonLogo SIK-ISEA
Illustrations de périodique

No catalogue 051100

Crédit photographique : © Fondation Félix Vallotton / SIK-ISEA (photographie : Philipp Hitz)

Droits : Réservés


Sans titre [Père, une histoire !]


Titre

Sans titre [Père, une histoire !]

Légende

– Père, une histoire !

Sujet

Alfred Dreyfus


Parution dans
Numéro
Date
1899 (1 Octobre)
Page
Première de couverture
Emplacement
Première de couverture
Relation illustration-texte

Autonome


Commentaire

Ce dessin de Vallotton est le premier, et le seul, à représenter Alfred Dreyfus. À l’issue du procès de Rennes, Dreyfus est à nouveau condamné pour trahison, mais il est ensuite grâcié le 19 septembre par le président Émile Loubet et peut regagner son foyer. Le dessin s’inspire d’une photographie montrant Alfred Dreyfus avec ses enfants le 27 septembre 1899, parue notamment en couverture de La Vie illustrée le 6 octobre 1899.

Pour la lecture du dessin de Vallotton, nous renvoyons à l’analyse exhaustive de Jean-Luc Jarnier en 2011 :

« Alfred Dreyfus passe ses premiers jours de liberté à Carpentras, chez les époux Valabrègue (sa sœur et son beau-frère) avec Lucie, sa femme, et ses deux enfants, Jeanne et Pierre, âgés respectivement de six ans et huit ans. Une vue prise le 27 septembre par le photographe Gerschel et publiée à la ‹ une › de La Vie illustrée du 6 octobre, le montre avec ses deux enfants. Plusieurs autres photographies sont présentes. […] C’est au cours de ses premiers jours de liberté que l’ex-capitaine raconte à ses enfants son long calvaire depuis son arrestation le 15 octobre 1894, en s’aidant pour cela de l’affichette ‹ Histoire d’un innocent › en seize vignettes, publiée chez Stock en 1898. La dernière vignette le montre ayant recouvré son honneur, lavé de l’infamante accusation et recevant une décoration militaire, ce qui ne viendra qu’en 1906.

Venons-en au dessin de Vallotton. La mise d’Alfred Dreyfus, constituée d’un complet noir, est soignée. Le garçonnet, vêtu d’une culotte courte, également noire, se fond visuellement, en partie, dans la silhouette de son père. Entre les noirs et les blancs, Vallotton joue sur les associations, interpénétrations et dissociations formelles, très présentes dans son œuvre graphique – dessinée et gravée – et picturale, ce qui, pour ce dessin, marque une forme de proximité entre l’enfant et son père. Les mains de Dreyfus, et plus particulièrement la droite, que Vallotton s’emploie à rendre longues et noueuses traduisent les tourments de l’âme d’un homme à la santé ruinée, dont les presque cinq années de détention ont laissé une empreinte psychologique presque ineffable. Mais, la représentation de cette main vient peut-être traduire ce que le dessinateur aura lu dans la presse sur l’état de santé de l’ancien déporté. Le rapport du docteur Pozzi publié dans Le Siècle du 13 septembre dresse le constat suivant : ‹ il est maigre, hâve, il a les muscles atrophiés, surtout ceux du bras gauche, qui semble suspendu à l’épaule par des ficelles, comme celui d’un pantin. […] Dreyfus est un homme fini. Il a trente-neuf ans, et il en paraît soixante. Il ne renaîtra jamais complètement à la vie. › Sur l’image de Gerschel, pour qui sait voir ou qui veut bien voir, ces altérations physiques se perçoivent davantage qu’elles ne s’imposent comme une évidence. Pour en revenir à Vallotton, son dessin porte cette légende : ‹ Père, une histoire ! ›

La fillette, quant à elle, plus jeune et moins apte à la compréhension, se détache en petite masse blanche, pure. Jeanne, étant de dos, seul Pierre, son grand frère, par son regard, marque une tristesse. Vallotton a choisi, pour leur père, d’à peine indiquer les traits de son visage tels la base du nez, les moustaches et la bouche. Les yeux, quant à eux, ne sont pas esquissés. Il est probable que, symboliquement, pour marquer le respect et le droit à l’intimité dans les replis de l’âme, Vallotton aura fait ce choix graphique. Il dessine les seuls lorgnons, qui, très incurvés vers le bas, marquent lassitude et tristesse. La tête est légèrement inclinée et penchée vers les enfants. La ligne verticale, à gauche de la tête, accentue la perception de l’inclinaison. Dans une gestuelle toute enfantine, le petit garçon replie sa jambe droite et le pied reste suspendu en l’air, ce qui vient rompre le statisme voulu de l’image. […]

Cette œuvre, éminemment favorable à Dreyfus et respectueuse pour l’homme, n’est bien sûr pas une caricature selon l’acception qui place souvent le dessin de presse comme un support ouvert à la mise en situation dépréciative de l’adversaire. Ce n’est pas non plus directement une charge qui viserait une personnalité ou une institution.

C’est en creux qu’il faut voir dans le portrait de Dreyfus et ses enfants une charge, à la fois contre l’injustice et contre les bruits, les colères et les excès d’une communauté antidreyfusarde dont certains des membres furent, dans la perspective d’une révision, d’une grande sévérité dans leur condamnation de Dreyfus.

On doit à Vallotton, anarchiste, tel un Sébastien Faure, fondateur de l’organe de presse Le Libertaire, d’avoir su être parmi les premiers, chez les anarchistes, à surmonter sa naturelle réticence vis-à-vis de la cause de Dreyfus, lequel, en sa qualité de bourgeois et de militaire, ne pouvait, a priori, lui inspirer aucune sympathie particulière.

Ce dessin de Vallotton, intimiste, se place également en contrepoint des dessins antidreyfusards pour la plupart très violents dans leurs attaques. ‹ Plus fait douceur que violence › dit l’adage. Il est cependant peu probable que Vallotton ait fait de cet adage un précepte guidant sa main bien qu’il faille considérer que, de façon générale, ses dessins, dans Le Cri de Paris, offrent davantage de tempérance qu’un Hermann-Paul plus réactif au flux événementiel et plus mordant. […] Les images de Vallotton gardent un siècle plus tard, pour certaines, une force en raison d’une plus grande immédiateté de lecture. Elles s’exonérèrent, pour un premier niveau de lecture, d’un recours à la chronologie factuelle de l’Affaire. […]

La réception d’un dessin est propre à chacun. Celui de Vallotton peut aussi être rapproché de cet écrit de François Mauriac où se tient encore, pour bon nombre, une part de vérité : ‹ L’affaire Dreyfus est une tragédie dont le héros est resté inconnu. Alfred Dreyfus demeure neutre d’aspect aux heures les plus atroces de son destin. Il ressemble à un cheval de corrida, sans cri et sans regard, dont les entrailles pendent. Il ne sait crier et il ne veut pas crier. › Enfin, pour conclure, le dessin de Vallotton peut s’apprécier avec le regard suivant, dont l’artiste lui-même a semble t-il voulu promouvoir l’idée ; à l’heure où Alfred Dreyfus quitte la scène publique et l’enfer de son procès de révision, rendons lui hommage et laissons le, paisiblement, renouer enfin avec sa vie d’époux et de père. »

(Jean-Luc Jarnier, « ‹ Père, une histoire ! › un dessin de Félix Vallotton sur Alfred Dreyfus », article publié sur le site web caricaturesetcaricature.com, décembre 2011).

Sur le même sujet, le dessin d’Henri Gabriel Ibels, paru dans Le Siècle du 25 septembre 1899, est à rapprocher dans sa composition de celui de Vallotton (pour le dessin original, voir : Henri Gabriel Ibels, Alfred Dreyfus et ses enfants, 1899, encre de Chine sur papier, 24,4 x 19,6 cm, Paris, Musée Carnavalet – Histoire de Paris).

Katia Poletti


Format
____
Composition
Flottante
Couleur
Noir et blanc
Technique de reproduction
Dessin reproduit par procédé photomécanique
Gravure/photogravure
____
Signature

Monogrammé en bas à droite

Autre·s mention·s sur l’illustration
____
Autre·s mention·s en marge de l’illustration

Dessin de F. Vallotton

Autre·s mention·s dans la publication
____
Remarques
____

Image de comparaison

A. Félix Vallotton, dessin définitif pour [Père, une histoire !], 1899, encre de Chine sur papier, 25,5 x 20,6 cm, collection particulière


Crédit photographique : ____

Droits : ____


Livre de raison

Voir fiches liées

Livre de comptes

Voir fiches liées

Honoraires
Voir fiches liées


Reprise·s

La Revue blanche, tome XX, no 153, 15 octobre 1899 (pages d'annonces).


Liens
____

Fiche liée
____