Autonome

L’« admirable Schumann » que Thadée Natanson voit dans le portrait par Vallotton du compositeur allemand paru dans le premier numéro de Pan (T. N., « Passim », La Revue blanche, tome VIII, n^o 49, 15 juin 1895, p. 573), est une xylographie produite en 1893. Julius Meier-Graefe l’acquiert vraisemblablement quelques mois avant le lancement de la revue (Ducrey, 2005, p. 274). Non seulement choisit-il de la reproduire dans l’édition courante, imprimée sur vergé bleu avec le nom de l’imprimeur (« C. Grumbach, Leipzig ») en bas à droite, mais également dans l’édition de luxe de la revue, sur japon nacré, signée et numérotée par l’artiste au crayon bleu et comportant le timbre sec de Pan à l’angle inférieur droit.

Robert Schumann (1810-1956) est, avec Richard Wagner (1813-1883), l’une des deux seules personnalités allemandes dont Vallotton ait gravé le portrait. Meier-Graefe, mû par la double allégeance internationale et allemande de sa revue, a sans doute trouvé là l’œuvre idéale – un Allemand portraituré par un Français – pour rendre visible une collaboration en laquelle il croit beaucoup. Nul doute qu’il est également séduit par l’esprit et les qualités plastiques du portrait, qui démontre l’indépendance de Vallotton face à la source iconographique dont il se sert : en effet, le daguerréotype de Johann Anton Völlner (1850, Robert-Schumann-Haus Zwickau), modèle du célèbre dessin au fusain réalisé par Eduard Bendemann en 1859 (Robert-Schumann-Haus Zwickau) et largement reproduit sous forme d’héliographie à partir des années 1870, est ici détourné par Vallotton au niveau du geste et du visage du compositeur. Au lieu de retranscrire Schumann la tête appuyée sur la main, dans une posture emblématique de la mélancolie et de l’introspection romantiques, Vallotton le représente les yeux clos, l’index et le majeur contre la pommette, un bourrelet trahissant à cet endroit la position assoupie ou en pleine écoute du sujet. Une adresse, « A Schumann », est taillée dans le bandeau inférieur du cadre, les « N » à l’envers.

La fortune du portrait ressurgira quelques années plus tard à la faveur du libraire, marchand d’art et éditeur d’estampes Edmond Sagot (voir ici). Le 20 novembre 1902, Vallotton lui écrit en effet : « Vous m’avez demandé il y a pas mal de temps je crois si j’avais encore des portraits de Schumann... et je crois avoir répondu que non. J’avais tout a fait oublié qu’au contraire j’en avais un tirage intact. Je l’ai retrouvé en classant mes papiers. Si cela vous intéresse encore, je pourrais vous en remettre, ou même vous le remettre intégralement, avec le bois si vous le désirez. Je m’occupe de choses très autres et suis un peu sorti du courant... Vous seriez mieux placé que moi pour en tirer profit. Un mot en ce cas s.v.p. » (Paris, Bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, Collections Jacques Doucet, Fonds Sagot-Le Garrec). La matrice du bois restera en main de l’artiste et est aujourd’hui conservée au Musée cantonal des Beaux-arts de Lausanne.

Sarah Burkhalter, Katia Poletti et Nadine Franci

C. Grumbach, Leipzig

«Félix Vallotton / Portrait von R. Schumann / Original Holzschnitt» dans le sommaire du numéro

Le titre "A Schumann" fait partie intégrante de l'illustration

1893LRZ165

«Schumann [grav. s bois]»

1893

«Portr Schumann. bois»

Félix Vallotton, Liste des gravures sur bois établie par ordre chronologique, 1891–1898, manuscrit, Lausanne, Fondation Félix Vallotton, sous 1893: «49 portr de Schumann»

Meier-Graefe, 1898, n^o 46, p. 65 «R. Schumann / Pan 1895» et pp. 25-26

Godefroy, 1932, n^o 130 «A Schumann»

Vallotton et Goerg, 1972, n^o 131, p. 139 «A Schumann»