No catalogue 029000
Pan, no 1, avril-mai 1895, première de couverture illustrée par Franz von Stuck
Crédit photographique : © Universitätsbibliothek Heidelberg
Droits : Réservés
Pan
Pan
Épilogue en dernière page de la revue : « Jusqu'à ce jour, un groupe d'environ 500 amis est resté fidèle au Pan. Au total, 21 numéros ont été publiés, avec environ 225 contributions artistiques, dont plus de 100 originaux. Berlin, le 15 juillet 1900. » (Traduction de l'autrice)
La revue berlinoise Pan paraît en avril 1895, fondée par une société artistique et littéraire internationale du même nom, la Société Pan. Dirigée à ses débuts par Otto Julius Bierbaum (1865-1910) et Julius Meier-Graefe (1867-1935), la revue annonce « rester indépendante de toute préoccupation mercantile » et « incorporer, sans distinction d’école, les aspirations créatrices de l’Art contemporain, dans ses productions les plus remarquables, et permettre en même temps de les comparer aux manifestations artistiques des époques anciennes » (note liminaire, cahiers I-II, avril 1895). De langue allemande, elle se dote d’emblée d’un supplément en français et d’une « dépendance » à Paris dirigée par Henri Albert (1869-1921) – d’autres sont créées à Munich, Bruxelles, Anvers, Helsingfors, Christiania, Stockholm et Florence. Pan s’affirme donc par un « large internationalisme dans le choix de ses collaborateurs », publiant notamment les proses et poèmes dans leur langue originale, et se distingue par un rôle particulier en regard de la gravure et du dessin contemporains : elle propose en effet à ses membres d’acquérir à des prix compétitifs des épreuves originales de divers artistes, parmi lesquelles figure, dans le premier fascicule, « une xylographie originale de Vallotton » (Pan, cahier I, avril 1895, p. 47).
La collaboration de Vallotton avec Pan est avant tout de l’ordre de l’illustrateur : il participe aux deux premiers numéros avec un total de quatre contributions : un portrait gravé sur bois du compositeur Robert Schumann et trois dessins qualifiés de « Textbildschmuck » (image d’ornement de texte), à savoir un portrait dessiné de J.-K. Huysmans et deux dessins reproduits en cul-de-lampe (voir Berichte et Notizen). Que Vallotton figure au sommaire d’une nouvelle revue internationale, qui deviendra avec Jugend l’un des organes principaux « d’un art nouveau, d’un art ayant fait sécession » (Danguy, 2009, pp. 79-80), résulte du goût pour l’art français de Meier-Graefe. Marina Ducrey nous apprend en effet que ce dernier est un client régulier de Vallotton dès février 1895, possédant alors une collection de gravures conséquente qu’il ne manque pas de montrer et de vendre à ses connaissances, comme le président de la Société Pan, l’entrepreneur, historien de l’art et juriste allemand Eberhard von Bodenhausen (1868-1918) (Ducrey, 1995, pp. 29-30). La xylographie mise à disposition des membres dans le numéro inaugural de Pan – le portrait de Schumann – a sans doute été prise en commission par Meier-Graefe lui-même. Ce dernier présente certainement Vallotton à Bierbaum, qui s’enthousiasme à son tour et commande à Vallotton l’illustration de ses livres (Die Schlangendame, 1896 ; Der bunte Vogel von 1897, 1896 ; Stilpe, 1897 ; Pankrazius Graunzer, der Weiberfeind, 1898) et de la revue Die Insel dès 1899.
Ensemble, Meier-Graefe et Bierbaum deviennent les vecteurs principaux de l’art de Vallotton en Allemagne, mais leur dynamique à la tête de Pan tourne court. Leur contrat se voit résilié après quelques mois d’activité, en septembre 1895, en raison d’un différend avec le comité directeur sur la parution d’une lithographie d’Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901), Mademoiselle Marcelle Lender, en buste (1895). Jugée décadente et d’un intérêt plastique négligeable par Bodenhausen (Krahmer, 1993, p. 397), l’œuvre cristallise les tensions esthétiques et idéologiques qui couvent au sein de la revue entre un art dit « allemand » et un art dit « français ». L’internationalisme professé par Meier-Graefe et Bierbaum bute alors contre le nationalisme défendu par leur hiérarchie. Avec leur départ – Meier-Graefe quitte Berlin pour Paris fin 1895, « amèrement déçu » (Krahmer, 1993, p. 397) – coïncide l’interruption des commandes faites à Vallotton, qui aurait dû illustrer une nouvelle de Meier-Graefe dans le troisième numéro de Pan (Ducrey, 1995, p. 33).
Le relai parisien de la revue offre à ses abonnés les textes allemands en traduction partielle, réunis dans un opuscule intitulé L’Épreuve littéraire. La revue elle-même est publiée en trois éditions : l’édition générale sur papier fort, soit 1’500 exemplaires, sur abonnement d’un an à 95 francs (75 marks) ; l’édition de luxe sur japon impérial, soit septante exemplaires numérotés, sur abonnement d’un an à 200 francs (160 marks) ; et l’édition artistique sur vieux japon à la cuve, soit trente exemplaires à 375 francs (300 marks). Il est en outre possible d’acquérir des fascicules séparés de l’édition générale, au prix de 25 francs pour les livraisons doubles et de 37,50 francs pour les livraisons triples ; les fascicules des éditions spéciales ne sont pas vendus séparément. En outre, lit-on dans les premières pages du premier numéro, « les deux éditions spéciales donneront des épreuves avant la lettre signées par les artistes, des tirages sur papiers de luxe, en plusieurs états, différents essais artistiques originaux etc. ».
De fait, Pan pénètre le marché en tant que luxueuse revue, annoncée dès 1894 dans les colonnes notamment de L’Art moderne comme « élégant fascicule » et « publication d’art au sens le plus élevé du mot » (no 44, 14e année, 8 novembre 1894). À parution, le même Art moderne signale « une variété extrême de tendances et de procédés [où] Arnold Böcklin coudoie Vallotton et Albert Dürer voisine avec Félicien Rops », et relève « le Schumann de Vallotton » (no 23, 15e année, 9 juin 1895). La Revue blanche salue également la naissance d’une consœur allemande, « dont les éditeurs ont réussi à faire une œuvre à part, grâce aux efforts les plus coûteux et les plus particuliers ». Thadée Natanson (1868-1951), qui signe l’annonce, souligne encore : « La collaboration de Garborg, de Whistler (qui reproduit un tableau ancien), de F. Vallotton qui donne son admirable Schumann, fait le numéro que rehausse tant de luxe matériel, précieux. L’étui-couverture est tout à fait heureux et nouveau. » (T. N., « Passim », La Revue blanche, tome VIII, no 49, 15 juin 1895, p. 573).
On ne s’étonnera donc pas de lire dans le deuxième numéro de Pan, à la rubrique des annonces (« Notizen », p. 135), une note à propos d’un mensuel aux velléités similaires, la Revue franco-américaine : « Vom Monat Mai ab erscheint in PARIS eine neue Monatsschrift grossen Stils, die REVUE FRANCO-AMERICAINE, die zum Zweck hat, Erzeugnisse der modernen französischen Literatur in Nordamerika zu verbreiten und so als Bindemittel zwischen der alten und neuen Welt zu dienen. Das erste Heft, dem es vielleicht ein wenig an Einheit und Übersichtlichkeit mangelt, bringt Aufsätze von A. Daudet, Catulle Mendès, Barrès, Mallarmé, Geffroy, Marcel Schwob, Paul Adam, Jules Renard, Tristan Bernard etc. mit Bildnissen der Verfasser und Vollbildern von Forain, Caran d’Ache, Helleu, Toulouse-Lautrec, Vallotton. Die Revue wird vom Fürsten Andreas Poniatowski herausgegeben (…). » Pan connaît une destinée autrement plus pérenne que la Revue franco-américaine, qui disparaîtra après trois numéros, en revanche moins durable que Jugend, née quelques mois plus tard, qui s’avèrera « plus populaire, plus accrocheuse, [dont] l’impact est bien supérieur et se mue en une véritable fièvre du ‹ style Jugend › » (Danguy, 2009, p. 80). Die Insel, en proie à des difficultés financières, tentera de fusionner avec Pan au printemps 1900, en vain.
L’exclusivité, pour ne pas dire l’élitisme de Pan, ainsi que le principe d’un objet d’art « total » fondé sur l’alliage intime du texte et de l’image (Danguy, 2009, pp. 111-112), causeront la chute du titre en juillet 1900. Pourtant célébré en 1895, l’enchevêtrement des arts graphiques, de la littérature, du théâtre et de la musique, finira par réduire la compétitivité de la revue. En 1910, le marchand d’art et éditeur Paul Cassirer (1871-1926) relancera le titre, mais l’initiative ne durera que trois ans.
La renommée de Vallotton, quant à elle, observera un dû vis-à-vis de Pan : autour de Meier-Graefe et Bierbaum gravitent en effet des personnalités comme Bodenhausen et Harry Graf Kessler (1868-1937), respectivement président de la Société Pan dès 1894 et membre du comité éditorial dès 1896, et qui entretiennent une correspondance intéressée à l’égard des gravures de Vallotton (Ducrey, 1995, p. 29, note 18). Également membres du comité directeur de la revue, Woldemar von Seidlitz (1850-1922) et Alfred Lichtwark (1852-1914) font don des œuvres de Vallotton en leur possession aux collections des musées qu’ils dirigent, à savoir les musées de Dresde pour l’un, et la Hamburger Kunsthalle pour l’autre. Ainsi, dès le milieu des années 1890, les institutions publiques allemandes acquièrent ou reçoivent des gravures et des ouvrages de Vallotton (Ducrey, 1995, pp. 33-34), un intérêt qui devance celui des musées suisses de quelques années et qui est directement redevable à la collaboration avec Pan.
Sarah Burkhalter, Katia Poletti et Nadine Franci
Voir fiches liées
Voir fiches liées
St-James, 1979, [p. 5]
Ducrey, 1995, pp. 29-30, 33-34
Heichhorn, 2003, p. 139
Catherine Krahmer, « PAN and Toulouse-Lautrec, in Print Quarterly, vol. 10, no 4 (décembre 1993), pp. 392-397
Laurence Danguy, L'Ange de la jeunesse. La revue Jugend et le Jugendstil à Munich, Paris : Éditions de la Maison des sciences de l'homme, 2009, pp. 74-75, 79-80, 111-112
La publication est consultable sur Universitätsbibliothek Heidelberg.