Logo de la fondation Félix VallottonLogo SIK-ISEA
Périodiques

No catalogue 035000

Jugend, no 1&2, 11 janvier 1896, première de couverture illustrée par Fritz Erler

Crédit photographique : © Fondation Félix Vallotton / SIK-ISEA (photographie : Philipp Hitz)

Droits : Réservés


Jugend


Titre

Jugend

Sous-titre

Münchner illustrierte Wochenschrift für Kunst und Leben

Supplément de
____

Type de périodique
Revue
Langue·s
Allemand
Lieu de publication
München

Périodicité
Hebdomadaire
Date de début de parution
1896 (11 Janvier)
Remarques
____
Date de fin de parution
1940
Remarques
____
Dates de la collaboration de Félix Vallotton
____

Commentaire

La revue Jugend paraît en janvier 1896 à Munich avec l’élan que promet son titre et sous-titre, Revue munichoise pour l’art et la vie. D’emblée un double numéro, elle ambitionne de vivifier la presse et l’édition allemandes, raillant l’esthétique et l’esprit « fin-de-siècle » français tout autant que la bourgeoisie et le cléricalisme allemands. Preuve de son libéralisme, l’éditorial inaugural s’affranchit de la notion-même de « programme » :

« [A]u sens petit-bourgeois du terme, nous n’en avons pas. Nous voulons parler de tout et tout illustrer de ce qui est intéressant, de ce qui remue les esprits ; nous voulons publier tout ce qui est beau, bien, caractéristique, chouette et – vraiment artistique. / Aucun domaine de la vie publique ne doit être exclu, mais aucun ne doit non plus avoir la primauté : il sera question de grand, de plus grand, de très grand art, d’ornement, de décoration, de mode, de sport, de politique, de musique et de littérature ; aujourd’hui sérieusement, demain avec humour ou de manière satirique, selon ce qu’imposent situation et sujet. À cet effet, tous les arts graphiques, le ‹ trait tout en style ›, la sérieuse esquisse, la caricature, la photographie doivent être mobilisés. Et – ‹ là, escortés de bon mots ›, c’est-à-dire un texte mobile leur voletant autour, là le travail de nos illustrateurs pleins de verve, vieux comme jeunes, s’épanchera gaiement. / Aucune forme de collaboration littéraire ne doit être exclue pour peu qu’elle s’accorde avec la devise : ‹ bon et concis ›. Chaque genre – l’ennuyeux étant banni – est convié de bon cœur : poésie lyrique, épigramme, nouvelle, satire, prose comme vers. » (cité par Danguy, 2009, p. 43).

Retenons de cette assertion, pour excessive et bravache qu’elle soit (Danguy, 2009, p. 47), deux points remarquables : d’une part, l’imbrication annoncée de l’écrit et de l’image, qui se vérifiera au moins durant les années où l’éditeur-fondateur Georg Hirth (1841-1916) et le rédacteur en chef Fritz von Ostini (1861-1927) codirigent la revue (1896-1916) ; d’autre part, l’esthétique du « trait tout en style », foncièrement Jugendstil, dont la revue se fera le vecteur principal en Europe à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Conçue d’emblée comme un objet de collection, elle se présente également à la vente sous forme de coffrets puis de reliures (Danguy, 2009, p. 24). Tirée d’abord à 30’000 exemplaires à trente Pfennig l’unité, elle compte après trois mois d’existence 30’000 abonnés, avant de progresser jusqu’à atteindre un tirage de 80’000 exemplaires en 1910 (Danguy, 2009, pp. 72-73). Elle cessera d’exister en 1940, au terme d’une longévité sans pareil dans les milieux allemands et français de la presse artistique et humoristique (Danguy, 2009, pp. 28-38 ; pp. 74-75).

Félix Vallotton est appelé, dès le premier numéro, à façonner l’identité de Jugend. Mention est faite de lui – « Vallotton » – aux côtés d’Arnold Böcklin, Caran d’Ache, Lovis Corinth, Eugène Grasset ou encore Théophile Alexandre Steinlen, et ce dans le corps-même du manifeste inaugural. Il est donc l’un des socles de la vitalité que Hirth souhaite insuffler à son aventure éditoriale, signant deux dessins originaux pour les numéros de janvier et de mai 1896 ([Patineurs] et Maispaziergang). Quelques années plus tard paraissent deux vignettes ornementales, des reprises cette fois, représentant des chouettes et signées « F. Vallotton (Paris) » : l’une parue le 9 avril 1900, l’autre le 17 juin 1902, sont repris du Catalogue de l’Exposition internationale du livre moderne à L’Art Nouveau de 1896 (voir L'Art nouveau et [Huit hiboux et chouettes]). Mais la confiance qui noue l’éditeur et l’artiste ne s’arrête pas là, bien qu’on ne leur connaisse ni correspondance, ni notes spécifiques aux commandes (à propos de la dissémination, sur le marché de l’art, des esquisses originales et de la destruction des archives de la revue, voir Danguy, 2009, p. 15, note 31). En 1908, une toile de Vallotton est reproduite en pleine page : Les Peupliers de 1903, recensé sous l’intitulé « Die Silberpappeln / Félix Vallotton (Paris) » a alors le privilège de la reproduction intégrale en couleur, un aspect « sensationnel » (Danguy 2009, p. 22) qui caractérise Jugend dès ses débuts, dans un contrepoint avec les pages en noir et blanc de la revue. Aujourd’hui perdu, le paysage avait été vendu l’année précédente, en 1907, à Munich (voir Ducrey, 2005, no 460). Y verrait-on la main collectionneuse de Hirth ? A minima celui-ci met un point d’honneur à valoriser dans ses colonnes aussi bien le travail d’illustrateur que celui de peintre chez Vallotton, une démarche que l’on retrouve également dans The Studio.

Attentif lui aussi, Vallotton use de la revue comme d’une source iconographique. Pour réaliser le masque d’Arnold Böcklin dans Der Bunte Vogel von 1897, il s’appuie sur le portrait photographique de Böcklin aux côtés de l’historien de l’art Adolf Bayersdorfer (1842-1901), paru en janvier 1896 de Jugend en prélude d’une notule de Hirth intitulée « Zwei Freunde. Ein Könner und ein Kenner. Böcklin und Bayersdorfer ». L’auteur de la photographie prise le 18 juillet 1894 à Munich est nul autre que Hirth lui-même.

Impliqué dans la genèse de la sécession munichoise en 1892, Hirth est alors une forte personnalité du monde culturel bavarois, actif dans le domaine de l’imprimerie (G. Hirth Kunstverlag, 1871 ; Knorr & Hirth, 1875), de la presse (Münchner Neueste Nachrichten, 1887), du livre et de l’histoire de l’art. Membre de la société bavaroise des arts appliqués, il publie dès les années 1870 des ouvrages de vulgarisation et théoriques, abondamment publicisés dans les pages d’annonce de Jugend (Formenschatz, dès 1877 ; Kulturgeschichtliches Bilderbuch aus drei Jahrhunderten, dès 1881 ; Der Stil in den bildenden Künsten und Gewerben aller Zeiten, dès 1889 ; Wege zur Kunst, 1903). La « psychologie d’orientation scientiste » (Danguy, 2009, p. 116) qu’il applique et sonde dans ses écrits sur l’art dénote sa contribution aux débats de l’esthétique scientifique, contexte intellectuel et artistique alors prégnant en Allemagne comme en France. Francophone parfait et francophile averti – Hirth est le fils de Louise Drevelle du Frênes (1819-1860), d’ascendance française –, il observe avec intérêt les ressorts humoristiques véhiculés dans Le Charivari, Le Salon caricatural et Le Rire, allant jusqu’à les citer dans Jugend, et prend pour modèle La Revue blanche, alliance idéale de l’art et de la littérature à ses yeux (Danguy, 2009, pp. 108-114). Nul doute que la haute estime qu’il porte à Vallotton provient de son observation directe de la presse française contemporaine, du style « bon et concis » qu’il voit à l’œuvre chez le dessinateur et peintre nabi, à laquelle s’ajoute une affinité élective de Français de cœur.

Vallotton, a contrario, ne saurait être décrit comme un Allemand de cœur. Ne maîtrisant pas la langue et farouchement français dès 1900 – il adopte la nationalité française « pour se distancier de la composante germanique inhérente (...) à son origine helvétique [perçue] comme un handicap à sa créativité » (Ducrey, 1995, p. 27) – il doit toutefois à l’univers du livre et de l’illustration allemands un vecteur de notoriété internationale certain (voir Die Schlangendame, Der Bunte Vogel von 1897 ou Pan par exemple). Outre le rôle de formidable catalyseur de la monographie de Julius Meier-Graefe en 1898, soulignons la réception favorable que lui réserve le milieu artistique munichois dès 1904 : il est alors invité à présenter sept tableaux dans le cadre d’une exposition du groupe Phalanx, animé par Wassily Kandinsky (Ducrey, 1995, p.37), et poursuit ses envois jusqu’en 1913, participant régulièrement à la sécession munichoise. L’un de ses observateurs attentifs est le rédacteur en chef de Jugend, Fritz von Ostini (1861-1927), qui déclare en 1908 : « De Félix Vallotton, on trouve des portraits d’une intensité de réalisation parfois admirable et d’un caractère fort, ainsi que de grands tableaux de nus, qui ne sont pas toujours peints et dessinés de manière plaisante, mais qui, comme par exemple les ‹ Femmes au bain ›, ont une indéniable grandeur décorative. » (Ducrey, 1995, pp. 37-38).

Présent dans les pages de Jugend dès sa conception en 1896 et jusqu’en 1908, Vallotton participe pleinement au « phénomène Jugend » (Danguy, 2009, p. 67), répondant par la qualité-même de son trait aux vœux des concepteurs de la revue et reçu favorablement par la communauté artistique munichoise au cours de la décennie à suivre.

Sarah Burkhalter

Illustrations liées

Image de comparaison
____

Livre de raison

Voir fiches liées

Livre de comptes

Voir fiches liées

Honoraires
Voir fiches liées

Bibliographie

Ducrey, 1995, pp. 27-47

Heichhorn, 2003, p. 139

Laurence Danguy, L'Ange de la jeunesse. La revue Jugend et le Jugendstil à Munich, Paris : Éditions de la Maison des sciences de l'homme, 2009


Liens
____