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Illustrations de périodique

No catalogue 035001

Crédit photographique : © Universitätsbibliothek Heidelberg

Droits : Réservés


Sans titre [Patineurs]


Titre

Sans titre [Patineurs]

Légende
Sujet
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Parution dans
Numéro
Date
1896 (11 Janvier)
Page
p. 24
Emplacement
Corps du périodique
Relation illustration-texte

Autonome


Commentaire

Il est tentant de voir dans Les Patineurs la synthèse remarquable de ce que la critique allemande salue chez Vallotton dès 1896.

Retenons du recensement effectué par Marina Ducrey (Ducrey, 1995, pp. 27-37) les voix les plus pertinentes pour notre propos, à commencer par celle de l’écrivain, poète et critique suédois Ola Hansson (1860-1925). Ouvrant son texte sur le fait que « le nom de Vallotton est encore pratiquement inconnu hors de France », il déclare dans un essai paru dans la revue berlinoise Die Zukunft : « Toute la volonté et toute la puissance créatrice de Vallotton sont concentrés dans la ligne – ligne caractéristique, synthétique. L’effet de ce procédé, le plus simple de tous, est chez lui brutal et percutant, saisissant et essentiel. » (Hansson, 1896 ; trad. Françoise Fornerod, in Documents, vol. I, pp. 271-274). Hansson rencontre l’art de Vallotton dans les dessins que ce dernier publie dès 1894 dans La Revue blanche et, dès 1896, dans la Revue des revues, mensuel auquel Hansson collabore également.

La ligne est littéralement mise en scène dans Les Patineurs, créant par les sillons des lames sur la glace le champ-même de la patinoire. Elle permet simultanément de recréer, dans notre imagination, le mouvement – celui du pied du patineur comme celui de la main de l’artiste – qui a précédé la trace. Plus spécifiquement, et d’un point de vue purement plastique, les moyens utilisés attirent l’attention sur la masse physique arrimée à la cheville patineuse. Ce contraste entre la ligne et la figure, Vallotton se délecte visiblement à le nourrir dans ce dessin, qui répondrait tout aussi bien à ce que l’écrivain allemand Wilhelm Holzamer (1870-1907) décèle dans les dessins de Vallotton qu’il voit à la galerie Bernheim-Jeune en 1903 : « [I]l associe si finement la surface et la ligne. (...) Il a beau mettre beaucoup d’esprit dans ses œuvres, il ne l’impose jamais. Il ne brille jamais, il est trop artiste pour cela – il ne perd jamais de vue le caractère pictural [Bildhaftigkeit]. » (cité par Ducrey, 1995, p. 40).

Les Patineurs concentre, dans un quart de page de revue, et sans lien si ce n’est saisonnier avec le texte adjacent, les qualités graphiques, rythmiques et expressives pour laquelle le Jugendstil est connu. L’arabesque s’y conjugue à l’aplat, les carreaux d’une jupe dialoguent avec les rayures d’un pantalon, même les expressions se lisent comme une partition du loisir patiné – un monocle en équilibre incertain lorgne vers l’apostrophe d’un sourcil confiant. Il résonne en cela avec ce qu’Oskar Bie (1864-1938), historien de l’art et de la danse, critique d’art et musicologue berlinois, observe en 1905 dans Die moderne Zeichenkunst  à propos des xylographies de Vallotton : « Il a décrit les plaisanteries qui naissent naturellement dans la tragicomédie de la vie, les grotesques de nos mouvements, les bizarreries d’un moment soudain saisi, les secrets révélés par un vif rai de lumière, les humanités qui se colportent dans la composition d’un visage, les caprices de quelque arabesque et cette ligne qui court autour de nos vies, mi-pathétique, mi-comique, aussi solennelle que ridicule. » (cité par Ducrey, 1995, p. 41).

La scène d’une foule en patins, avec ce qu’elle trahit chez Vallotton de dextérité physionomique et de satire du geste social, et le sujet idéal pour créer le « duo de noir plat et de blanc lisse » que Hans W. Singer décrit dans Die Moderne Graphik (1914) : « Cela révèle un œil fabuleusement aiguisé pour l’essentiel de la forme et du mouvement, ainsi qu’une main sûre et souple dans la restitution de ce qui a été saisi. » (cité par Ducrey, 1995, pp. 41-42).

L’essentiel, dans le cas des Patineurs, est rendu d’autant plus aiguisé que Vallotton renonce, entre le dessin préparatoire – formidable répertoire de la glisse chorégraphique – et le dessin paru, à reproduire le liseré de conifères au dernier plan. Par impératif technique lié aux procédés de reproduction ou par choix esthétique – les deux allant précisément de pair dans les premières années de Jugend (Danguy, 2009, p. 23) –, il accroît le contraste bicolore et confère à l’action, bordée d’un ourlé noir qui rappelle un rideau de scène, tout son caractère théâtral. Il n’est alors pas étranger à la représentation de la danse, qu’elle soit de salon de glace : la toile La Valse (1893) et la gravure Ex-Libris A de Musset (1893) procèdent du même choix formel, celui de la figure dansante obtenue par l’estompement des membres et des contours, noyés dans le passage-même du pinceau ou de la mine. Éthérée, abandonnée à l’étreinte de l’autre et à l’ivresse de la valse, la figure des corps en cadence – qui, de deux, ne font qu’un – est notamment dépourvue de pieds, résumée au volume sinueux que Vallotton confère aux textiles et aux déhanchés. Par contraste, Les Patineurs offre le spectacle de postures rivées au patin, dont la masse et le tracé cisaillent la patinoire. Une figure, toutefois, se distingue de cet ensemble soumis à la gravité : centrale, les mains dans le dos, les patins resserrés en pointe, elle avance dans un même ondoiement que les danseuses, le contrapposto du complet noir faisant écho à l’arabesque des jupes et manteaux. La filiation formelle est indéniable, soulignée encore par le visage du patineur, incliné vers l’arrière, savourant comme la valseuse la volupté du mouvement.

Sarah Burkhalter


Format
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Composition
Circonscrite dans un rectangle
Couleur
Noir et blanc
Technique de reproduction
Dessin reproduit par procédé photomécanique
Gravure/photogravure

non spécifié

Signature

Monogrammé en bas à droite

Autre·s mention·s sur l’illustration
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Autre·s mention·s en marge de l’illustration

«Zeichnung von F. Vallotton (Paris)»

Autre·s mention·s dans la publication
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Remarques
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Image de comparaison

A. Félix Vallotton, dessin préparatoire pour [Patineurs], 1895, crayon sur papier, 17 x 22 cm, localisation actuelle inconnue

Crédit photographique : © Hindman, Chicago

Droits : Réservés


Livre de raison

1895LRZ274

«Dessin p Ie Jugend. Munich»

Livre de comptes

1895

«Dessin p le Jugend. Munich 45»

Honoraires
45 Francs

Bibliographie

St-James, 1979, no 31

Ducrey, 1995, pp. 33, 36

Heichhorn, 2003, p. 139


Reprise·s

Shchekatikhin, 1918, p. 70.


Liens
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Fiche liée
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