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Périodiques

No catalogue 014000

La Revue blanche, no 28, février 1894, première de couverture

Crédit photographique : © Bibliothèque Cantonale Universitaire de Lausanne (BCUL)

Droits : Réservés


La Revue blanche


Titre

La Revue blanche

Sous-titre
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Supplément de
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Type de périodique
Revue
Langue·s
Français
Lieu de publication
Paris

Périodicité
Mensuel
Date de début de parution
1891 ([15] Octobre)
Remarques
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Date de fin de parution
1903 (15 Avril)
Remarques
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Dates de la collaboration de Félix Vallotton
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Commentaire

La Revue blanche est fondée en décembre 1889 à Liège par Alexandre, Thadée et Louis-Alfred Natanson. Journal littéraire et artistique, il adopte dès ses débuts une très grande liberté de ton et se décrit « ouvert à tous les genres, à toutes les opinions, [et] à toutes les écoles » (La Revue blanche, no 1, page 1, 1er décembre 1889). Durant ses deux premières années d’existence, la revue est tirée à 1’300 exemplaires, change de format de numéro en numéro et paraît irrégulièrement. En 1891, les bureaux de la revue sont transférés à Paris et le rôle des cofondateurs se précise au sein de la fratrie Natanson : Alexandre (1866-1936), l’aîné et avocat de profession, est responsable des finances du journal et occupe le titre de rédacteur en chef ; Thadée (1868-1951) est membre du comité de rédaction, mais s’avère être le directeur de la revue ; et Louis-Alfred (1873-1932), aussi connu sous le nom de plume d’Alfred Athis, apporte son expertise de critique d’art et dramaturge. La (re)naissance parisienne de la revue est remarquée en ces termes depuis la Belgique dans les colonnes de L’Art moderne : « La Revue blanche nous fait part de sa naissance, – ou plutôt de sa puberté, car elle exista, durant deux années, à Bruxelles [sic], et deux ans, c’est toute l’enfance d’une revue ! Adolescente, la Revue blanche émigre à Paris. […] Nos félicitations et nos vœux » (8 novembre 1891).

Sise 15-17 rue des Martyrs, La Revue blanche devient rapidement un des périodiques francophones les plus influents au tournant du XIXe-XXe siècle, prenant position en faveur de l’avant-garde artistique de son temps et, de sensibilité anarchiste, ouvrant ses pages aux débats culturels, intellectuels et politiques qui agitent alors la France. Elle tire sa force d’un éclectisme assumé, non seulement de contenu, mais aussi de format et de fonction : dans ses bureaux s’organisent en effet des expositions et des ventes – en particulier de peinture néo-impressionniste, symboliste et nabi, dont la revue se fera l’ardente promotrice ; elle existe également en édition de luxe, sur papier hollande, en tirage restreint et numéroté ; elle édite des tirés à part sur papier bulle – i.e. des illustrations reproduites sur un papier d’une pâte très grossière –, qu’elle expose et qu’elle vend, ainsi que des suppléments illustrés, comme Le Chasseur de chevelures et Nib ; elle absorbe des titres qui peinent à trouver leur public, à l’instar de la Revue franco-américaine, et ce même provisoirement ; enfin, elle s’affirme en tant qu’éditrice au sens pluriel du terme, publiant les ouvrages de ses auteur·trice·s et, épisode-clé de l’historiographie qui nous intéresse ici, la série de xylographies Intimités (1898) de Félix Vallotton.

L’illustration, paradoxalement, n’occupe pas d’emblée le corps de la revue. Ce n’est qu’à partir de 1893 que paraît avec chaque livraison un frontispice de la main d’un artiste, avant que 1895 ne marque l’instauration régulière de pages internes illustrées. C’est alors que le trait de Vallotton devient omniprésent, essentiellement sous la forme des portraits dessinés qu’il livrera sans discontinuer jusqu’en 1902.

La complicité entre Vallotton et les Natanson naît quelques années auparavant. L’intégration du peintre dans le groupe des Nabis en est le pivot : en avril 1893, Thadée Natanson cite pour la première fois le nom de Félix Vallotton dans une critique du Salon des Indépendants qu’il signe pour La Revue blanche, lui accordant une place privilégiée parmi les autres Nabis qu’il mentionne. À la vue des xylographies et de deux tableaux dont Le Bain au soir d’été (1892-1893, huile sur toile, 97 x 131 cm, Kunsthaus Zürich), Natanson souligne l’« ironie plastique » à l’œuvre chez Vallotton et en « pousse l’analyse plus loin que jamais auparavant » (Poletti, 2013, p. 37-38). Une année s’écoulera avant que le trait de Vallotton apparaisse pour la première fois dans les pages de la revue, dans la gravure de trois baigneuses, en février 1894 et dans le cadre de la série de frontispices réalisés par les Nabis.

S’ensuit alors une commande aussi spécifique que significative : Vallotton est invité à illustrer les poèmes de Romain Coolus, réunis sous le titre « Petit Tussaud du Rondel », et à contribuer ainsi au Chasseur de chevelures. Onze « têtes » – terme qu’il utilise pour la première fois dans son Livre de raison pour décrire deux de ces portraits caricaturaux – paraissent ainsi entre avril et juillet 1894. Un style est né, une ligne d’une synthèse et d’une efficacité sans égal qui passionnera les éditeurs et les critiques. Thadée Natanson en fait l’éloge dans un compte-rendu d’exposition à la galerie Laffitte (10 mai-10 juin 1895) desdits portraits, qui figurent aux côtés de lithographies de Toulouse-Lautrec et de Bonnard : « En ces portraits-médaillons de toutes célébrités, M. F. Vallotton fait montre de ce don qu’il a de formuler des formes en arabesques magistrales, si fortement et vivement inspirées par ses modèles dont il fait vivre l’aspect. Les compositions, en plus, étonnent et ravissent par le souci très haut qu’elles affirment de n’emprunter aucun attrait, même d’ironie, à des qualités picturales » (Thadée Natanson, « Expositions », La Revue blanche, 1er juin 1895, p. 524).

La reconnaissance publique et professionnelle est aussi immédiate que durable : Vallotton contribuera à 66 numéros de La Revue blanche de février 1895 à janvier 1902, réalisant au total 107 illustrations dont un autoportrait et 95 portraits d’hommes et de femmes de lettres, des arts et de la politique, pour certains repris au sein-même de la revue. Si bien qu’en novembre 1895, Remy de Gourmont écrit à Vallotton : « La Revue des Revues va publier, sous ma signature, une série d’articles sur les écrivains et d’abord les poètes nouveaux. Elle désirerait que la notice de chaque écrivain fût illustrée d’un portrait signé de vous, comme ceux qui sont si remarqués dans La Revue blanche. La Revue des Revues, qui a un public très étendu, a naturellement l’intention de payer votre collaboration » (Documents, vol. I, lettre 72, p. 132). De cette collaboration naît alors une nouvelle terminologie, celle de « masque », un terme que Gourmont propose avec succès à Vallotton au moment d’éditer le premier volume du Livre des masques en 1896.

L’année 1895 marque l’arrivée de Félix Fénéon au poste de secrétaire de rédaction de la revue, lequel succède à Lucien Muhlfeld, par ailleurs premier acquéreur du Bain au soir d’été la même année. Cette entrée en fonction coïncide avec le premier dessin officiellement commandé à Vallotton, dans une revue désormais bimensuelle et passant de cent à cinquante pages : le portrait d’Edgar Poe, en introduction des lettres traduites par Fénéon de l’écrivain américain. Signe d’une connivence intellectuelle qui ne tarira pas, la dynamique entre Fénéon et Vallotton sera l’une des plus fertiles pour la revue, Fénéon devenant rédacteur en chef de 1896 à 1903 (sans que cela ne paraisse d’ailleurs dans l’impressum de la revue). Vallotton réalise le portrait éloquent de ce labeur dans Félix Fénéon à La Revue blanche (vers 1896, huile sur carton, 52,5 x 66 cm, collection particulière).

Le fonctionnement exact de leur collaboration est soumis à l’hypothèse suivante : en l’absence de lettres ou d’échanges écrits, il est vraisemblable que les décisions liées aux illustrations étaient prises en personne, lors d’une séance de rédaction à laquelle assistait Vallotton. Il semblerait en effet qu’il y fût comme chez lui, si l’on en croit un mot qu’il adresse à Louis-Alfred Natanson en juin 1899 : « Je vais toujours à la Revue [sic], presque chaque soir, y prendre l’air du bureau, je n’ai que le regret de ne pas vous y voir. Thadée est invisible aussi » (Documents, vol. I, lettre 127, p. 189).

Plus certain, en revanche, est le recours quasi systématique au modèle photographique, en lieu et place du dessin d’après nature. D’une part cela induit que le choix éditorial de la personne représentée était tributaire de l’existence d’une photographie. D’autre part, le corollaire en est le cadrage resserré, pour ainsi dire « détouré » du visage que Vallotton résume habilement en restituant le jeu seul des contrastes. Aussi les masques tranchent-ils avec les autres illustrations présentes dans un même numéro, dues à des contemporains de Vallotton dont le trait est moins encré, plus furtif, davantage prompt aux nuances.

Parmi les 96 portraits – d’ailleurs non légendés, à l’exception de ceux illustrant L’Enquête sur la Commune – plus de la moitié (56) sont consacrés à des figures issues de la littérature et de la philosophie dont deux féminines (Jane Austen et Matilde Serao), le reste étant dévolu à des hommes politiques. Une proportion similaire existe entre les personnalités de nationalité française (54) et celles de nationalité britannique (6), russe (6), cubaine (3), italienne (2), portugaise (2), états-unienne (2), polonaise (1) ou encore néerlandaise (1). La majorité des personnes portraiturées sont contemporaines de Vallotton (52) et dans la plupart des cas, elles sont l’objet d’un article ; il arrive qu’elles en soient simultanément l’auteur, mais cela reste rare (voir par exemple les masques de Malthus et de Paul Robin). Relevons enfin qu’en marge de la typologie du masque, une séquence de huit dessins au trait continu, qui élime la distinction entre image et cartouche, offre un contrepoint marqué aux portraits (voir En reconnaissance 1).

En définitive, La Revue blanche marque la naissance d’une marque de fabrique : le masque vallottonnien. La réciproque est vraie aussi : c’est le trait de Vallotton qui assoit la ligne esthétique de la revue. Les renommées de l’artiste et de la revue s’épanouissent donc simultanément : la mise en page élégante, le tracé incisif et le propos percutant se répondent les uns aux autres.

Sarah Burkhalter, Katia Poletti et Nadine Franci

Sarah Burkhalter

Illustrations liées

Image de comparaison
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Livre de raison

1894LRZ

Livre de raison et Livre de comptes : La gravure sur bois Baigneuses ainsi que les cinq premiers masques parus dans le périodique (Bismarck, Bakounine, Joseph de Maistre, Joao de Deus et Herzen) font l'objet d'une mention spécifique au Livre de raison et/ou au Livre de comptes. Vallotton perçoit cinq francs par masque. Viennent ensuite les mentions groupées suivantes, où Vallotton ne semble pas avoir noté scrupuleusement ses productions pour La Revue blanche, les honoraires perçus ne correspondant pas au nombre de dessins fournis:

LR non cité / LC 1895 : « dessins Revue blanche 15 »

LR 1895 LRZ 277 : « sept têtes pour Ia Rev Blanche »/ LC 1895: « 7 têtes p Revue blanche 35 »

LR non cité / LC 1896 : « Dessins portr p. Revue blanche 20 »

LR 1896 LRZ 292a : « portraits dessins Rev. blanche »/ LC 1896: « portr. dessins Rev. blanche 15 »

LR 1897 LRZ 341 : « Dessins Cri de Paris et Rev. blanche »/ LC non cité

LR non cité / LC 1897 : « Collaboration Revue blanche 80 »

LR 1897 LRZ 357 : « Dessins Rev blanche. »/ LC 1897 : « dessin Revue blanche 28 »

LR 1898 LRZ 376 : « Dessins Mercure. de France. Cri de Paris et Revue blanche. »/ LC 1898 : « dessins Revue blanche et Cri de Paris (solde au 1er juin) 278 »

Puis plus aucune mention pour les années 1899, 1900, 1901 et 1902, où Vallotton livre pourtant une trentaine de dessins.


Livre de comptes

Voir fiches liées

Honoraires
Voir fiches liées

Bibliographie

Romain Coolus, « La Revue blanche de 1891 à 1903 », Les Arts, 1936, pp. 12-30

Hermann, 1959

A[rthur] B[asil] Jackson, La Revue blanche (1889–1903). Origine, influence, bibliographie, Paris : Lettres modernes Minard, 1960

Malcolm Skeels Parker, La Revue blanche, sa critique et ses croisades, Thèse de doctorat, Cambridge (Mass.), Middlebury College, 1960

St-James, 1979, [p. 5, 7, 8]

Geneviève Comès, La Revue blanche et le mouvement des idées, Thèse de doctorat, sous la direction de Robert Jouanny, 3 vol., Université de Paris XII, 1987

Venita Datta, La Revue blanche (1889-1903): Intellectuals and Politics in Fin-de-Siècle France, Thèse de doctorat, Institute of French and Francophone Studies, New York University, 1989

Georges Bernier, La Revue blanche, ses amis, ses artistes, Paris : Éditions Hazan, 1991

Oliver Barrot et Pascal Ory, La Revue blanche : histoire, anthologie, portraits, Paris : UGE ( « 10/18 », série « Fins de siècles »), 1993 (Nouvelle édition revue et augmentée)

Geneviève Comès, « Le groupe de La Revue blanche (1880-1903) », La Revue des revues, 1997, no4, pp. 4-11

Venita Datta, « La Revue Blanche : un milieu parisien fin-de-siècle », French Cultural Studies, 1998, vol. 9, no 26, pp. 147-165

Patrick Fréchet, Bibliographie des éditions de la Revue Blanche, 1892-1902, Tusson : Du Lérot (« D’après nature »), 2006

Paul-Henri Bourrelier, La Revue blanche. Une génération dans l’engagement 1890-1905, Paris : Fayard 2007

Clément Dessy, « La Revue blanche et les Nabis. Une esthétique de la fragmentation », Trans-, 2009, no 8

Cécile Barraud, La Revue blanche. Une anthologie, Houilles : Manucius (« Littéra »), 2010

Alexia Vidalenche, Couvertures et pages liminaires des revues fin-de-siècle : une avant-scène médiatique pour les groupes symbolistes (La Plume – La Revue blanche – L’Art littéraire – Le Livre d’Art), Mémoire de master sous la direction de Julien Schuh, Université de Reims Champagne Ardenne, 2014

Clément Dessy, « Une esthétique de la rue. La Revue blanche au cœur de la ville », Romantisme, 2016, vol. 171, no 1, pp. 74-88


Liens
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