En relation avec Tristan Bernard, «Le Pêcheur à la ligne», pp. 9–16.

Le texte de Tristan Bernard (1866-1947) fait référence au dessin de Vallotton dans le passage suivant : « Il s’est formé sur le quai, derrière le pêcheur à la ligne, un chœur silencieux. / Voici un ouvrier flegmatique, contremaître d’un atelier d’ajustage. Il a le regard sentencieux et semble content de lui-même. Son haleine est sucrée d’alcool et ses bajoues sont piquées d’un cent de pointes grises. Il s’est appelé Gavroche dans sa jeunesse. Il a adressé à nos institutions l’implicite hommage d’un bruyant irrespect. Maintenant il s’appelle Prudhomme. Il est le sieur Prudhomme, sinon Monsieur Prudhomme. Il marche, à la suite de Millerand, sous un rouge et pacifique étendard. Il demande au progrès social de le rendre bientôt conservateur. / Voici un rentier sans âge, glabre et dodu, vêtu de drap solide. C’est un gibier d’hommes d’affaires. Chaque matin, des gens véreux assiègent et assaillent sa petite maison de Vaugirard. Ils stimulent sa cupidité endormie et le requièrent de placer avantageusement leurs fonds. / Voici encore une modeste ‹ Terreur › trop effacée pour les premiers rôles, mais qu’on emploie volontiers comme ‹ utilité › dans les grands crimes. Et voici un Diogène à feutre mou, indulgent pour la richesse d’autrui. À ses côtés, un médiocre élève de primaire regarde devant lui de toutes ses forces, à faire éclater sa tête. Et, tout fier de connaître le pêcheur à la ligne, le fils de la crémière, qui se repose d’une récente influenza, s’est assis à côté de lui sur la berge. / Tous ces gens le regardent pêcher, et lui ne les voit point. Il méprise leur vie affairée et étroite, leur vie pareille à une ligne de tramway, d’une utilité bornée et vaine, dans la grande inutilité des choses. » (pp. 11-12).

Monogrammé en bas à droite

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Dessy, 2015/2, p. 105-106