Logo de la fondation Félix VallottonLogo SIK-ISEA
Illustrations de livre

No catalogue 027001

[Malfaiteur]


Titre

[Malfaiteur]

Sujet
____
Spécifications liées au titre
____

Inédit, prévu pour
Date
1895 (Mars)
Page
p. 7
Emplacement
____
Relation illustration-texte
____

Commentaire

Alphonse Gallaud de la Pérouse, dit Zo d’Axa (1864-1930) est un journaliste libertaire français, fondateur de l’hebdomadaire anarchiste L’Endehors, auquel Félix Fénéon (1861-1944) collabore activement. Le siège administratif et la rédaction du journal sont situés dans un sous-sol de la rue Bochard-de-Saron, dans le 9e arrondissement, où 91 numéros seront publiés entre le 5 mai 1891 et le 10 février 1893. Lors de l’arrestation de Ravachol (1859-1892), un anarchiste responsable de plusieurs assassinats et attentats, le 30 mars 1892, L’Endehors lance une souscription en faveur des familles de détenus. Cette initiative entraîne l’arrestation de Zo d’Axa et sa détention durant un mois à la prison Mazas. Pendant ce temps, son journal continue de paraître grâce à Félix Fénéon. Craignant de nouvelles poursuites, Zo d’Axa entreprend un long voyage qui le conduit à Londres puis en Italie, en Grèce et jusque dans l’Empire ottoman. Au début de l’année 1893, il est arrêté en Palestine, à Jaffa, et ramené à Paris enchaîné pour y purger une peine de dix-huit mois de prison à Sainte-Pélagie. Après sa libération le 1er juillet 1894, il publie en mars 1895 chez Henry Kistemaeckers à Bruxelles, Le Grand Trimard, récit de son périple écrit en prison. En octobre 1895, une seconde édition de l’ouvrage paraît à Paris chez Chamuel avec pour titre De Mazas à Jérusalem. Hormis la couverture de Steinlen, qui remplace la précédente d’Anquetin, les illustrations à l’intérieur du livre restent inchangées et conformes aux indications de la page de titre : « Ornementation de Lucien Pissarro, Steinlen, Félix Vallotton » dans l’édition belge ; « Dessins de Lucien Pissarro, Steinlen, Félix Vallotton », dans l’édition parisienne. Les critiques sont dithyrambiques et unanimes. Ainsi, sous la plume de Willy (pseudonyme de Henri Gauthier-Villars, 1859-1931), on lit : « Dans ce texte savoureux, de savoureux Vallotton » (Henry Gauthier-Villars [Willy], « De Mazas à Jérusalem », in : Quelques livres. Année 1895, Paris : Bibliothèque de la critique, 1896, p. 72).

Désireux de voir son ouvrage illustré par des artistes sympathisants de ses idées politiques, Zo d’Axa s’est tourné, sur recommandation de Félix Fénéon, vers Vallotton, pourtant encore inexpérimenté dans le domaine de l’illustration de livres. D’après le Livre de raison et le Livre de comptes de l’artiste, sous l’année 1894, six dessins étaient attendus de lui. Or l’ouvrage ne contient que trois illustrations dont il est l’auteur : deux têtes de chapitres (voir ici et ici) et un petit cul-de-lampe. Trois dessins destinés à cette publication sont restés inédits (voir ici et ici et ici) ; un autre n’a pas été repéré à ce jour (voir ici). Aucune rémunération n’est inscrite au Livre de comptes pour ce travail.

Seules trois compositions de Vallotton ont donc été acceptées par les éditeurs. Lucien Pissarro (1863-1944), désormais établi à Londres, a été chargé de remplacer les quatre têtes de chapitres refusées à Vallotton. Les raisons pour lesquelles certaines d’entre elles ont été écartées ressortent des correspondances citées ci-dessous :

L’éditeur belge Henry Kistemaeckers (1851-1934) écrit à Zo d’Axa le 2 décembre 1894, certainement à propos des six dessins de Vallotton : « J’ai reçu vos dessins, mais je dois vous avouer en toute sincérité que je les trouve très-ordinaires et qu’ils n’auront aucun succès. Ce ne sont pas là des illustrations pour un livre ! Nous sommes loin, bien loin, des jolies compositions qui ornent les volumes de la collection Guillaume ! » (Jean-Jacques Lefrère, Philippe Oriol, La feuille qui ne tremblait pas. Zo d’Axa et l’anarchie, Paris : Flammarion, 2013, p. 205). Une opinion aussi négative de son éditeur n’aura pas manqué de peser sur la décision de Zo d’Axa d’exclure une partie des dessins.

Entre le 2 et le 9 décembre 1894, Félix Fénéon écrit à Zo d’Axa, toujours au sujet des dessins de Vallotton : « Oui, les petits notaires du ch[apitre] I sont fâcheux – et trop illustration. Quant à l’en-tête du ch. II il ne me déplaisait pas, dans une série qui vise moins à traduire un texte, qui n’a pas besoin de traduction, qu’à l’accompagner en ornement. Mais je comprends que pour le cher Endehors vous désirez quelque chose de documentaire. Cette considération mise de côté, ce serait, ma foi, l’Endehors (ch. II) et Londres (ch. III) que je préférerais. A vous aussi, ce Londres vous a plu. Enfin le petit cul-de-lampe – nuages et soleil –, il n’y a pas d’inconvénient, n’est-ce pas ? à le publier. Il fera une bonne tache sur la page. Le rectangle de papier pointillé [dessin d’un rectangle] que j’ai collé sur l’un des dessins indique le ton de pointillé que le photograveur devra employer pour les parties qui sont en bleu dans les originaux. Vous veillerez, s’il vous plaît, à ce que les dessins soient renvoyés à Félix Vallotton. / Quant à ceux que vous ferez exécuter en remplacement de ceux de Vallotton que vous écartez, voici. / Pour sauvegarder mon rôle dans cette affaire (car j’ai insisté auprès de ce peintre pour qu’il fit tous les dessins et naturellement il ne comprendra pas très bien l’élimination de tel ou tel), il faudrait Ne le pensez-vous pas ? que vous ayez l’obligeance de lui écrire des choses de ce genre : … en raison de vos allées et venues entre Bruxelles et Londres, de votre changement de domicile à Londres et des vicissitudes policières que subissent quelquefois votre correspondance et la nuisance, telles de vos lettres sont arrivées en retard ou pas du tout ; d’où des malentendus, au cours desquels vous avez demandé, de votre côté, des têtes de chapitre à Lucien P[issarr]o, et l’obligation de faire entrer P[issarr]o et Vall[otton]. Une cote mal taillée. Etc. etc. / Mais vous voyez combien il serait scabreux de faire appel aujourd’hui à la collaboration d’un artiste habitant Paris, de Gabriel Ibels, par exemple, qui, comme n’importe lequel des cinq ou six dessinateurs auxquels vous pourriez vous adresser, est un ami de Vallotton. / La combinaison Pissarro d’Epping ne présenterait pas les mêmes inconvénients ; et au point de vue de l’esthétique du livre, elle serait souhaitable. En ce qui concerne le chap. II, le fait que Lucien P[issarro] ne serait pas descendu au s[ous-]sol [de L’Endehors], n’a pas d’importance ; – vous le renseignerez, crayon en main. / Les dessins de Vallotton sont inscrits dans un rectangle de 8 cm sur 4 et ce rectangle est fortement marqué : – dispositions à conserver pour toutes autres têtes de chapitres. » (Ibid., pp. 204-205).

Après avoir sérieusement évalué la pertinence de chacun des dessins, Fénéon, visiblement gêné et soucieux de ne pas démériter auprès de Vallotton pour lequel il s’était engagé, imagine un stratagème lui permettant de sauver la face tout en dupant subtilement son ami. Il suggère de commander les quatre têtes de chapitres de remplacement à Lucien Pissarro, qui, établi en Angleterre depuis 1890, ne risque pas de croiser Vallotton et de lui révéler la supercherie. Quant à sa recommandation de restituer les dessins originaux à l’artiste, elle n’a pas dû être prise en compte, car deux d’entre eux figureront dans la vente de la succession de l’écrivain à Paris en 2001 (voir ici et ici). Enfin, d’après sa lettre, il semble bien que Vallotton, contrairement à Pissarro, se soit documenté en visitant le sous-sol qui hébergeait la rédaction de L’Endehors.

Zo d’Axa suit les conseils de Félix Fénéon et utilise de faux prétextes pour justifier le remplacement de certaines des têtes de chapitres de Vallotton par des dessins de Lucien Pissarro. En décembre 1894, il écrit à Vallotton : « Mon cher Monsieur, / J’ai un peu tardé à vous remercier de vos intéressants dessins ; mais c’est que j’ai eu mille ennuis, dont l’un entre autres me touche plus particulièrement. Ma correspondance avec notre ami F. [Fénéon] a été souvent rendue difficile par les indiscrétions policières et c’est ainsi que telles lettres sont arrivées en retard et d’autres pas du tout. Il en est semblé que, pressé par l’éditeur et non au courant de tous les dessins que vous vouliez bien me donner, j’ai demandé de mon côté quelques illustrations à Pissarro. De telle sorte qu’enfin en possession de l’ensemble des dessins il a fallu faire une cote mal taillée qui n’a pas permis la publication de tous les Pissarro… ni de tous les Vallotton. / Vous dirais-je en terminant, Monsieur et cher collaborateur, combien m’a plu votre cohue anglaise, cette masse grouillante de gens, vus à mi-corps et donnant une si intense évocation des foules londoniennes. Ce dessin est heureusement l’un de ceux que publie Kistemaeckers dans le très prochain livre de votre / Zo d’Axa » (Lausanne, Fondation Félix Vallotton).

Enfin, le 9 décembre 1894, en parallèle d’une demande faite à Zo d’Axa concernant les dessins de Pissarro, Kistemaeckers revient sans pitié sur sa désapprobation des illustrations de Vallotton : « Et les dessins ? – Ils ne vont pas vite, hein ? Vous vous rappelez que j’avais prévu le cas. / Soit, mon vieux, je suis pour le dessin ‹ pompier › plutôt que pour ces personnages en baudruche, sans os ni muscles, sans expression, dessinés comme par des enfants. Pensez-en ce que vous voulez, mais tous ces impressionnistes ne savent guère dessiner, et pour qu’ils puissent devenir ceux de demain, il leur faudra commencer par apprendre à dessiner. C’est mon avis, et il n’exclut pas du tout le côté anguleux ou pittoresque que je recherche toujours dans l’artiste. Ce sont les images d’Épinal que j’exècre. / Bref, là n’est pas la question pour le moment. Il a été convenu que votre livre serait illustré par vos amis, nous nous en tenons là, et nous tâcherons de tirer le meilleur parti possible de ce qu’ils nous donneront. Ne discutons donc pas. » (Jean-Jacques Lefrère, Philippe Oriol, La feuille qui ne tremblait pas. Zo d’Axa et l’anarchie, Paris : Flammarion, 2013, p. 206).

Vallotton dessinera malgré tout un masque de Zo d’Axa, qui illustre l’annonce de la parution du Grand Trimard dans Le Rire du 22 juin 1895.

Katia Poletti

Format
____
Composition
____
Couleur
Noir et blanc
Signature
____
Autre·s mention·s sur l’illustration
____
Autre·s mention·s en marge de l’illustration
____
Remarques
____

Images de comparaison

A. Félix Vallotton, dessin définitif pour Malfaiteur, 1894, encre de Chine sur papier, 8 x 16 cm, localisation actuelle inconnue

Crédit photographique : © Fondation Félix Vallotton

Droits : Réservés

B. Zo d'Axa, Le Grand Trimard, Bruxelles, Henry Kistemaeckers, 1895, page 7, illustrée d'un dessin de Lucien Pissarro

Crédit photographique : © Fondation Félix Vallotton / SIK-ISEA (photographie : Philipp Hitz)

Droits : Réservés


Livre de raison

Voir fiches liées

Livre de comptes

Voir fiches liées

Honoraires
Voir fiches liées

Bibliographie
____

Reprise·s
____

Liens
____

Fiche liée
____