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Illustrations de périodique

No catalogue 049001


Crédit photographique : © Fondation Félix Vallotton / SIK-ISEA (photographie : Philipp Hitz)

Droits : Réservés


Le Véritable jeu des trente-six bêtes

Titre
Le Véritable jeu des trente-six bêtes
Légende
Sujet
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Parution dans
Numéro
Date
1897 (16 Janvier)
Page
pp. 34-35
Emplacement
Corps du périodique
Relation illustration-texte

En relation avec «Le Véritable jeu des trente-six bêtes», dessins de Vallotton, légendes de Mitschi, La Revue parisienne, no 3, 16 janvier 1897, pp. 34-35.


Commentaire

Dans son Livre de raison, Vallotton consigne sa livraison pour La Vie parisienne en janvier 1897 sous la mention « jeu de l’oie » et reçoit la coquette somme de 150 francs. Un cachet comparable lui est versé pour l’illustration complète des Contes de Pantruche et d’ailleurs, livre de Tristan Bernard pour lequel il compose 53 dessins la même année. Pour la revue parisienne, c’est bien une spirale de cases illustrées qu’il conçoit en connivence avec Mitschi (pseudonyme d’Armand Rosenthal [1855-1898] journaliste, essayiste et traducteur français aussi connu sous le nom de Jacques Saint-Cère), l’auteur des règles du jeu : « La Vie parisienne, frappée par la banalité des jouets mis à disposition des enfants, petits et grands, est très heureuse d’offrir à ses lecteurs un nouveau jeu, nouveau pour l’Europe au moins : le Jeu des trente-six bêtes, qui se joue avec deux dés, comme le traditionnel Jeu de l’oie. La politique faisant de nombreux ravages dans toutes les classes de la société et les enfants discutant du mérite de nos députés dès l’âge de dix ans (il est même à remarquer que plus tard ils ne discutent plus les mérites, mais simplement les défauts), nous avons cru pouvoir mettre aux trente-six bêtes des têtes parlementaires : cette petite entorse donnée à l’histoire naturelle facilitera beaucoup la compréhension des règles du jeu » (p. 34). Si l’on ignore les conditions exactes de leur collaboration – qui de Vallotton ou de Mitschi pose le premier trait d’humour ? –, relevons que les règles écrites fonctionnent comme des railleries du parlementaire français concerné et ne renvoient jamais explicitement au portrait zoomorphe.

C’est que les caricatures animalières de Vallotton dérivent directement du jeu dont il s’inspire, la loterie Hua-Hoey, jeu de cartes, de pari et d’interprétation des rêves originaire de Chine. Dans La Revue blanche du 15 janvier 1901, un article de Léon Charpentier intitulé « Sur la loterie ‹ Hua-Hoey  ou Jeu des Trente-six Bêtes » en décrit ainsi le principe : « Encore que les pays de sa grande vogue actuelle soient le Cambodge, la Birmanie, le Siam, la Malaisie, – le jeu des Trente-six Bêtes est un jeu chinois. Les personnages qui figurent sur ses trente-six cartes, et dont chacun a, de par les superstitions taoïstes, une triple existence, datent de la guerre des Han contre les Tchou. » Sa forme cambodgienne semble plus directement liée à l’animalité, si l’on en croit un rapport paru dans La Revue critique de législation et de jurisprudence en 1893 (pp. 326-327) : « Le jeu des 36 bêtes est une sorte de loterie dont le tirage a lieu chaque jour. Les numéros sont remplacés par les figures, et quelquefois même par des extraits de fourrure ou de plumes de 36 bêtes, dont la nomenclature est toujours la même depuis l’éléphant jusqu’au papillon. Chaque numéro correspond, en outre, au nom d’un mandarin, bonze, lettré ou personnage célèbre. Chaque jour, avant l’ouverture des jeux, le numéro ou animal gagnant est choisi par un employé ; son portrait, plus ou moins grossièrement fait, est enfermé dans une boîte ou dans un panier huché au haut d’un mât et qu’on ouvre à la fin de la journée. […] Les concessionnaires soutiennent que le jeu favorisait le travail, parce que les indigènes travaillaient pour pouvoir jouer avec le produit de leur travail. En réalité il était une cause de démoralisation et de troubles. »

Le principe de la réincarnation de l’animal en l’humain est central au jeu original, et Vallotton lui est fidèle en affublant 34 des 36 parlementaires d’un corps d’animal surmonté d’un portrait masque. Le premier effet grotesque réside justement là : dans la dissonance entre le visage et le corps, le premier étant traité selon la typologie du masque pour lequel Vallotton a déjà été largement remarqué dans La Revue blanche et Le Livre des masques ; le corps, lui, est représenté selon des moyens sommaires apparentés à l’esquisse naturaliste. Dans deux occurrences, on remarquera un fiacre et une locomotive à tête d’homme. L’intérêt de Vallotton ne réside pas dans la métamorphose, mais bien dans le collage, dont il s’empare avec délectation pour tourner en ridicule ces hommes sérieux.

Le grotesque naît également du rapport de l’image à l’énoncé, un rapport qui joue sur les réputations des édiles et du contexte politico-social. Un exemple : « Qui tombe en 1 (Deschanel) chantera le Sonnet d’Arvers sur l’air de la Carmagnole et ira sept fois du quai d’Orsay à l’Institut. » Paul Deschanel (1855-1922), député et président de l’Assemblée nationale puis brièvement président de la République en 1920, est représenté en paon. Le Sonnet d’Arvers, paru en 1833 dans le recueil poétique de Félix Arvers (1806-1850), chantait un amour caché et fut l’un des sonnets les plus connus et pastichés au XIXe siècle ; La Carmagnole, elle, était une chanson révolutionnaire du XVIIIe siècle, d’origine italienne et populaire en France dès la chute de la monarchie en 1792. La réputation de séducteur de Deschanel, resté longtemps célibataire – il épouse Germaine Brice de Viele (1876-1959) en 1901, à l’âge de 46 ans – expliquerait-elle l’association de son personnage-paon avec le Sonnet d’Arvers ? Perçu comme l’un des orateurs les plus éloquents de la Troisième République, son aisance avec le verbe serait-elle signalée par la capacité à user de la poésie comme du chant frondeur ? La mention des allers-retours entre le quai d’Orsay et l’Institut fait certainement allusion à ses engagements à l’Assemblée nationale française – sise Quai d’Orsay, au Palais Bourbon – et à l’Académie française – sise à l’Institut de France, quai de Conti.

Ceint par le titre en lettres dessinées et un encadrement de la main de Vallotton, le jeu paraît sur une double page au milieu de la revue, emplacement habituellement réservé à la « critique en image » (Sadoun-Édouard, 2012, paragraphe 8) dans La Vie parisienne à ses débuts dans les années 1860. S’il n’est point question ici de critique théâtrale au sens propre, l’image et le texte évoluent néanmoins dans les registres du gage comique, du travestissement et de la satire politique, tous par définition empreints de théâtralité. Les règles n’invitent-elles pas à un formidable jeu de rôles et ce au gré des dés jetés ?

Le divertissement co-créé par Vallotton s’inscrit dans une longue lignée de jeux de hasard et de papier à caractère initiatique ou moralisant, dont on situe les premières occurrences – en ce qui concerne le jeu de l’oie – en Toscane à la fin du XVIe siècle. Relevons par exemple Les Delassemens du Pere Gerard ou la poule de Henri IV. Mise au pot en 1792 (anonyme, Strasbourg : Treuttel, 1792), où l’objectif à atteindre au fil de 83 cases est la nouvelle constitution. D’autres relèvent davantage de l’éducation, comme le Jeu national et instructif ou leçons exemplaires et amusantes. Données par Henri IV et le Pere Gerard (anonyme, Paris : Basset, 1791-1792). Vallotton s’empare quant à lui du Jeu des trente-six bêtes avec une délectation particulière pour l’atavisme animal associé à des figures politiques de premier plan. Parmi les députés caricaturés ici dont Vallotton réalise le portrait pour d’autres publications, relevons Louis Barthou, Georges Berger, Léon Bourgeois, Henri Brisson, Paul Deschanel, René Goblet, Clovis Hugues, Jean Jaurès, Jules Méline, Alfred Mézières, Albert de Mun, Camille Pelletan, Raymond Poincaré et Eugène-Melchior de Vogüé.

Il semble aussi répondre à une double page parue dans La Vie parisienne plus d’une décennie plus tôt, le 31 août 1889, intitulée Le Grand jeu français des 36 bêtes. Ce jeu, illustré par Albert Robida (1848-1926), n’est pas à disposition du lecteur ou de la lectrice, mais une caricature qui raille le jeu politique des candidats à l’État. On y voit trente-six personnages qui votent autour d’une même table, certains éminents, certains ordinaires, et autant de notules décrivant leur fonction : affublé du billet no 1, « M. le Préfet, autrement dit le croupier de la table », par exemple, est « celui qui dirige le jeu, donne les cartes, coupe, recoupe, biseaute au besoin, lève, soulève, enlève, ratisse, ajoute ou reprend, car à ce délicieux jeu des 36 bêtes, supérieur à tous les jeux, on peut tricher » (pp. 482-483). Remarquons aussi des fonctions fantasques, comme le « fumiste » (no 20), le « ciseleur sur métaux et sur opinions » (no 21), le « possibiliste » (no 23) ou encore le « zingueur antipossibiliste » (no 26). Point de règles du jeu ici, mais un antécédent de parodie politique que Vallotton aura peut-être connu et auquel il donne, avec la complicité de Mitschi, une forme autrement plus participative et grotesque – en clair et comme son titre l’annonce, « véritable ».

Sarah Burkhalter


Format
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Composition
Circonscrite dans un rectangle
Couleur
Noir et blanc
Technique de reproduction
Dessin reproduit par procédé photomécanique
Gravure/photogravure
Rougeront, Vignerot et Cie
Signature
Non monogrammé
Autre·s mention·s sur l’illustration

Rougeron-Vignerot. sc

Autre·s mention·s en marge de l’illustration

Autre·s mention·s dans la publication

«Véritable jeu des trente-six bêtes (Le). Dessins de Vallotton. Légendes de Mitschi, 34, 35» dans la table du volume de la 35e année (1897)

Remarques

Le titre fait partie intégrante de l'illustration


Image de comparaison
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Livre de raison

1897LRZ317

«Dessin jeu de l'oie p Vie Parisienne»

Livre de comptes

1897

«Dessin p Vie parisienne 150»

Honoraires
150 Francs

Bibliographie
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Reprise·s
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Liens
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Fiche liée
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