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L'Art et l'idée. Revue contemporaine du dilettantisme littéraire et de la curiosité, no 2, 20 février 1892, première de couverture

Crédit photographique : © Michiel Elsevier Stokmans

Droits : Réservés


L'Art et l'idée


Titre

L'Art et l'idée

Sous-titre

Revue contemporaine du dilettantisme littéraire et de la curiosité

Supplément de
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Type de périodique
Revue
Langue·s
Français
Lieu de publication
Paris

Périodicité
Mensuel
Date de début de parution
1892 (20 Janvier)
Remarques
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Date de fin de parution
1892 (20 Décembre)
Remarques
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Dates de la collaboration de Félix Vallotton
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Commentaire

La fin de l’année 1891 est marquée par le passage de Vallotton à la xylographie, sans doute à l’instigation de Charles Maurin (1856-1914). À Paul Verlaine, Une foule à ParisUn enterrement en province comptent en effet au nombre de ses premières gravures sur bois. Innovant sa pratique artistique, ce procédé lui apporte tant satisfaction que clientèle, ainsi qu’il l’explique à son frère Paul le 31 décembre 1891 : « Maintenant je suis tout à la gravure sur bois et il est à croire que j’y resterai quelques temps, ça me plaît et c’est bien de moi. J’en ai vendu quelques épreuves à des marchands ici, et cela me mettra sûrement en rapport avec des amateurs. » (Lausanne, Fondation Félix Vallotton). 

La reconnaissance de ses pairs ne se fait pas attendre. Toujours à propos de ses bois, Vallotton annonce le 19 janvier 1892 à son frère : « Je continue à faire du bois, une idée qu’on m’a amorcé, mais j’ignore encore s’il en résultera quelque chose. […] J’en aurai je crois bientôt dans une revue ; le directeur, un artiste, s’est emballé sur moi, et m’a promis un article, je l’illustrerais, bien entendu, de ceci comme d’autre chose. » (Lausanne, Fondation Félix Vallotton).

L’artiste fait ici référence à L’Art et l’idée et à son éditeur, le bibliophile et journaliste Octave Uzanne (1851-1931). L’homme de lettres n’a alors pu voir qu’une poignée de bois gravés par Vallotton, dont À Paul Verlaine, Tête de vieille, Une foule à Paris et Un enterrement en province, lesquels seront reproduits dans son article. Les deux derniers se présentent dans une mise en page strictement identique à celle que l’on trouvera quatre ans plus tard, dans le prologue d’Uzanne à Rassemblements.

Le projet d’article prenant forme, Vallotton produit trois bois ornementaux « pour Octave Uzanne », comme en témoigne son Livre de comptes (voir la tête de chapitre, la lettre ornée et le cul-de-lampe) sans toutefois mentionner un quelconque honoraire. Vallotton vendra en 1893 la tête de chapitre pour 20 francs et en 1894 le cul-de-lampe ainsi que la lettre ornée pour 15 à l’éditeur Louis Joly, qui les reproduira en 1893 (voir ici) et 1895 (voir Ex-libris ana et Ex-libris imaginaires et supposés de personnages célèbres anciens et modernes) dans ses publications consacrées aux ex-libris. En 1906, Vallotton autorisera le marchand d’estampes Edmond Sagot (1857-1917) à utiliser la tête de chapitre moyennant 20 francs.

Dans L’Art et l’idée, ces trois bois ornementaux sont suivis de trois portraits, de toute évidence xylographiés afin d’enrichir l’article. Il s’agit de ceux de Félix Jasinski, d’Octave Uzanne et de Baudelaire, auxquels s’ajoute un autoportrait étonnamment absent du Livre de raison et du Livre de comptes.

Au total, ce sont onze bois gravés qui illustrent l’article d’Uzanne. Il convient de relever qu’à l’exception des trois bois ornementaux, qui ne sont pas monogrammés, les neuf autres xylographies présentent la première version du monogramme de Vallotton, constitué de ses seules initiales, non inscrites dans un cartouche. Vallotton ne perçoit aucun honoraire de la part d’Octave Uzanne. Cela se comprend aisément dans la mesure où les œuvres restent la propriété de l’artiste qui peut en disposer à sa guise, soit pour les revendre, soit pour en produire des tirages, et où cet article, qualifié de « réclame de 1er ordre » (lettre de Félix Vallotton à son frère Paul, 8 février 1892, Lausanne, Fondation Félix Vallotton), lui donne l’occasion de montrer pour la première fois ses bois gravés au public.

L’article d’Octave Uzanne est publié le 20 février sous le titre « La Renaissance de la gravure sur bois. Un néo-xylographe : M. Félix Vallotton ». L’Art et l’idée, revue éphémère puisqu’elle n’a connu que douze livraisons entre janvier et décembre 1892, est dirigée, et quasiment entièrement rédigée, par Octave Uzanne. La part que celui-ci accorde à Vallotton dans son texte est finalement minime. Son article se conclut en ces termes : « La vue des portraits xylographiés de M. Félix Vallotton m’a poussé à la rédaction de cet article hâtif ; je regrette peut-être d’en avoir aussi mal et trop furtivement déduit les divers arguments. » (p. 119). Voilà sans doute la raison pour laquelle Vallotton qualifie l’article de « pas bien brillant » dans une missive du 13 février 1892 adressée à son frère Paul (Lausanne, Fondation Félix Vallotton).

Le tirage de la revue se présente comme suit : mille exemplaires sur papier vélin et six cents sur papier vergé des Vosges réservés aux abonnements (exemplaires numérotés), ce qui constitue les mille six cents exemplaires ordinaires. Le tirage de luxe s’élève à soixante exemplaires, dont trente sur japon (no I à XXX), quinze sur chine (XXXI à LXV) et quinze sur Whatman (XLVI à LX). Seuls ces soixante exemplaires de luxe contiennent des gravures supplémentaires (voir À Baudelaire et [La Cieca fortuna]).

Les mille six cents exemplaires de la livraison du 20 février 1892 dévoilent les tirages originaux de quatre bois de Vallotton : Portrait du graveur Félix Vallotton par lui-même, À Paul Verlaine, Portrait d’un bibliophile et Tête de vieille (le papier vélin de l’édition ordinaire sur lequel sont tirés ces bois est un peu plus fort. Deux bois sont tirés par feuille : Portrait du graveur Félix Vallotton par lui-même avec Tête de vieille et À Paul Verlaine avec Portrait d’un bibliophile). À Baudelaire est réservé aux soixante exemplaires de luxe. Les autres illustrations de l’article sont des reproductions photomécaniques d’après des épreuves des bois (voir [Tête de chapitre « Les Cartons d'estampes »][Lettre ornée]M. J..., graveur contemporainUne foule à ParisUn enterrement en provinceSans titre).

Il convient de relever que le portrait d’Octave Uzanne et l’autoportrait de Vallotton, probablement exécutés dans un deuxième temps, présentent tous deux des dimensions identiques à celles du portrait de Verlaine et de la Tête de vieille. Aussi, les quatre tirages originaux de ces bois insérés hors texte dans la revue présentent-ils une unité en matière de dimensions, adaptées au format vertical et restreint de la revue (voir sur ce point les bois réalisés en 1900 pour le magazine new-yorkais The Century).

Il n’est toutefois pas à exclure que les quatre bois aient été gravés conjointement, suite à la rencontre avec Uzanne concernant son article. Parmi les xylographies reproduites, seules Une foule à Paris et Un enterrement en province auraient préexisté, ce qui expliquerait qu’elles soient les seules à bénéficier d’un – bref – passage dans le texte d’Uzanne : « Remarquez cette Foule à Paris ou bien Un enterrement en province, ces deux xylographies brutales dont on trouve ici la réduction au dixième : ce ne sont que des silhouettes qui apparaissent taillées presque en ombre chinoise, mais n’y voyez-vous pas quelle intensité de vie et de réalité égayée par l’humour spéciale de la gravure ? » (p. 118).

Relevons que leur format, horizontal – et particulièrement grand dans le cas d’Un enterrement en province – ne se serait pas prêté à un tirage original sur une page.

En hissant Vallotton au rang de champion du renouveau de la gravure sur bois, cause pour laquelle il milite, Uzanne joue un rôle prépondérant dans la notoriété de l’artiste.

L’article d’Uzanne a par exemple ouvert à Vallotton les portes du premier Salon de la Rose † Croix, lors duquel il est invité à exposer ses bois pour la première fois, du 10 mars au 10 avril 1892, et est remarqué par les nabis, dont il rejoint le groupe au printemps 1893. Douze bois gravés de Vallotton figurent au catalogue de la Rose † Croix : À Baudelaire (no 217) ; Cadre contenant sept sujets originaux gravés sur bois (no 218) – parmi ces sept sujets, la critique permet d’identifier À Paul Verlaine et Une foule à Paris – ; Cadre contenant deux sujets originaux sur bois : Le Beau Soir et L’Enterrement (no 219) ; Cadre contenant deux sujets originaux sur bois : Hautes-Alpes (no 220). Vallotton doit sa participation à son compatriote Carlos Schwabe (1866-1926), créateur de l’affiche de cette manifestation. Le 4 mars 1892, ce confrère lui écrit : « J’ai vu hier chez Ducourtieux Péladan à qui j’ai montré les reproductions de vos bois dans la revue de Uzanne en lui disant que vous enverriez à la Rose+[Croix] et que je le priais de vous bien placer. » (Documents, vol. I, lettre 33, p. 78). Bien que la participation de Vallotton reste surprenante dans la mesure où ni les sujets, ni l’esthétique de ses gravures ne répondaient aux règles de l’Ordre de la Rose † Croix (sur ce point, voir Koella et Poletti, 2012, pp. 68-69), cette exposition, où ses bois « […] font très bien […] et sont très vus […] » (lettre de Félix Vallotton à son frère Paul, 17 mars 1892, Lausanne, Fondation Félix Vallotton) répond enfin aux attentes de l’artiste, telles qu’exprimées à son frère le 13 février 1892, de se faire « remarquer de la critique » (Lausanne, Fondation Félix Vallotton). C’est dans ce contexte que l’artiste se signale pour la première fois à l’attention de Remy de Gourmont (1858-1915) (voir ici) et de Félix Fénéon (1861-1944), avec lesquels il sera amené à collaborer (voir G[ourmont] R[emy de], « Les Premiers salons », Mercure de France, tome V, no 29, mai 1892, p. 63 et Félix Fénéon, « Peinture et mysticisme. Les Rose † Croix », Le Chat noir, 19 mars 1892).

Au printemps 1892, les espoirs de Vallotton en matière de reconnaissance semblent se réaliser puisqu’il écrit à son frère Paul : « Mes bois font paraît-il leur petit chemin dans le monde, et me font beaucoup connaître […]. On demande paraît-il fréquemment mon adresse à Uzanne, peut être viendra-t-il quelque chose par ce canal […]. » ( [mai-juin] 1892, Lausanne, Fondation Félix Vallotton).

Relevons pour terminer que la livraison de L’Art et l’idée du 20 juillet 1892 contient une eau-forte de Vallotton, réalisée à la demande d’Octave Uzanne et rémunérée 100 francs. La collaboration entre Vallotton et Uzanne se poursuivra en 1895-1896 avec le livre Les Rassemblements.

Katia Poletti

Illustrations liées

Image de comparaison
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Livre de raison

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Livre de comptes

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Honoraires
Voir fiches liées

Bibliographie

Octave Uzanne, « La Renaissance de la gravure sur bois. Un néo-xylographe: M. Félix Vallotton », L'Art et l'idée. Revue contemporaine du dilettantisme littéraire et de la curiosité, no 2, 20 février 1892, pp. 112–119.


Liens
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