No catalogue 078000
The Century Illustrated Monthly Magazine, volume LXI, no 1, novembre 1900, première de couverture
Crédit photographique : © Fondation Félix Vallotton (photographie : Etienne Malapert, Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne)
Droits : Réservés
The Century Illustrated Monthly Magazine
The Century Illustrated Monthly Magazine
[The Century Magazine]
Date de fin: 1929 ou 1930
En 1900, les xylographies de Vallotton restent l’unique vecteur de l’intérêt qu’il suscite aux États-Unis. L’atteste la parution à New York de deux articles de Jean Schopfer (1988-1921), qui s’est fait le promoteur de l’artiste outre-Atlantique. Né en 1868 à Morges près de Lausanne, le personnage fascine par la vertigineuse diversité de ses intérêts et occupations : il est diplômé de la Sorbonne et de l’École du Louvre, polyglotte, journaliste, romancier à succès – dès 1901 sous le pseudonyme de Claude Anet –, collectionneur, grand voyageur et sportif d’élite. Collaborateur régulier de La Revue blanche avant la venue de Vallotton, il est lié d’amitié avec Vuillard qui réalise pour lui plusieurs projets décoratifs.
Célébré sur la cinquième avenue en 1895, son mariage avec Alice Nye Wetherbee l’introduit dans la jet-set new-yorkaise et lui ouvre les portes de la presse américaine. Entre 1897 et 1903, il livre ainsi à The Architectural Record plusieurs articles portant sur la décoration, l’art nouveau et l’architecture, dont deux sur les chalets suisses, circonstanciés et richement illustrés, en 1897. Dans la foulée, il s’attache à promouvoir les xylographies de son compatriote Vallotton par un article qui paraît en mai dans The Book Buyer (Schopfer, 1900). Y sont reproduits dix bois gravés ainsi que, grande nouveauté, un portrait photographique de l’artiste, assis à côté de la cheminée dans le salon de son appartement parisien, 6 Rue de Milan. Cet article, le tout premier lui étant consacré aux États-Unis, met l’accent sur la vision personnelle de Vallotton. Les descriptions des xylographies trahissent une compréhension si subtile des sujets et des compositions qu’elles ont immanquablement dû se nourrir de dialogues avec l’artiste.
En novembre 1900, Jean Schopfer signe de ses seules initiales dans The Century Illustrated Monthly Magazine un article intitulé « In the Crowd at the Paris Exposition » et sous-titré « With Woodcuts Drawn and Engraved by F. Vallotton ». On ose s’étonner que cet article ait totalement échappé aux exégètes de Vallotton, alors que les six xylographies de la série L’Exposition universelle y sont reproduites (voir Looking at the Jewels, The Family Picnic Lunch, The Shower, The Street of Algiers, A Foot-Bridge, Fireworks). Or, cette source inexploitée revêt une importance capitale, non seulement concernant la suite des bois gravés, mais aussi pour l’attention dont Vallotton a bénéficié aux États-Unis.
La collaboration de Schopfer avec The Century Illustrated Monthly Magazine se résume à trois articles. Les deux premiers, signés de son nom complet, paraissent en août et en septembre 1900. Accompagnés d’illustrations d’André Castaigne (1861-1929), ils sont consacrés aux attractions – danse, théâtre et spectacles – de l’Exposition universelle de Paris (Jean Schopfer, « Amusements of the Paris Exposition. I: The Palace of the Dance » et « Amusements of the Paris Exposition. II: Theaters, Panoramas, and Other Spectacles », The Century Illustrated Monthly Magazine, vol. LX, no 4, août 1900, pp. 483-495 et no 5, septembre 1900, pp. 643-654). Le troisième et dernier article, celui de novembre dans lequel sont reproduits les bois de Vallotton, est simplement signé J. S., à la demande de l’auteur, fâché des nombreuses coupes infligées à ses textes. Le confirme une lettre de Schopfer datée du 19 juillet 1900 adressée à Robert Underwood Johnson (1853-1937), alors rédacteur en chef adjoint de The Century Magazine. Aujourd’hui conservées aux archives du Century à la New York Public Library, les lettres de Schopfer envoyées à Johnson ainsi que celle de Vallotton fournissent de précieux renseignements sur les circonstances dans lesquelles les deux hommes ont collaboré au périodique.
Dans une lettre non datée, mais rédigée sans doute entre le 19 avril et le 22 mai 1900, Schopfer écrit à Johnson : « I have seen my friend Vallotton and have spoken with him of a series for the ‹Century› of wood-engravings on ‹Crowds and types at the Exposition›. / The subject interests him and he would like to treat it. » On en conclut que Schopfer a imposé à Vallotton le sujet des bois à tailler pour son article, faisant suite aux deux précédents textes déjà consacrés à l’Exposition universelle ; après les attractions de l’Exposition, c’est sur son public que se concentre l’auteur. Sujet de prédilection de Vallotton, la foule, mentionnée dans le titre même de l’article de Schopfer, est ici de retour dans le cadre spécifique de l’Exposition universelle de 1900.
Il est permis de supposer que Vallotton ait gravé ces six bois dans le but de contribuer à sa propre promotion aux États-Unis. En effet, depuis la publication d’Intimités deux ans auparavant, il a délaissé la xylographie. On notera, dans les planches de L’Exposition universelle, l’absence de titres inscrits dans un cartouche (comme c’est déjà le cas en 1898 dans Portrait of Puvis de Chavannes). Elle peut s’expliquer par le fait que la série est destinée à un public anglophone.
Comme l’indique le sous-titre de l’article « With Woodcuts Drawn and Engraved by F. Vallotton », la suite de xylographies L’Exposition universelle a été exécutée spécialement pour The Century. Vallotton expédie des épreuves de ses bois pour leur reproduction dans le journal, ainsi que le précise l’article : « The accompanying examples, which were made for The Century, are reproduced from the engraver’s proofs. » (p. 155). Dans un courrier du 22 mai 1900, Schopfer informe Johnson : « M. Vallotton prefers to make wood engravings a little smaller so that they will not lose too much in the reduction. He says that by doing so he is more certain of the artistic effect. They are going to have 0.16 on 0.12. » Le format 16 x 12 cm correspond en effet aux mesures des bois, plus petits que ceux dont Vallotton usait habituellement pour ses xylographies, proportionnées aux dimensions restreintes des pages de la revue. Les épreuves sont expédiées par Schopfer le 15 juin 1900 : « I send you today, as announced, Vallotton’s wood engravings which are very striking. He would like to have them reproduced in a size as near as possible to their actual one. » Dans The Century, les trois sujets verticaux sont reproduits au format (voir The Family Picnic Lunch, The Street of Algiers, Fireworks). Quant aux sujets horizontaux, format vertical du périodique oblige, leurs dimensions sont réduites d’environ 20% (voir Looking at the Jewels, The Shower, A Foot-Bridge).
Le nom de Vallotton n’apparaît pas dans l’article, mais uniquement dans le sous-titre suivi d’une note. Bien que signée « Editor », celle-ci est due à Schopfer, comme le confirme la lettre du 15 juin 1900. Visant principalement à souligner la préséance de Vallotton sur l’artiste anglais William Nicholson, elle rectifie une erreur largement répandue : « Many people in America and England think wrongly that he has come after Nicholson. » (La comparaison avec Nicholson est récurrente dans la littérature anglo-saxonne : on la trouve déjà dans un bref compte rendu de la biographie de Vallotton par Meier-Graefe publié dans The Studio en septembre 1898, p. 291.)
La concordance entre texte et images est exemplaire dans cet article, au point que le sujet de chaque bois a certainement été choisi de concert avec Schopfer. Il est dès lors impossible de déterminer si les images illustrent le texte ou si le texte commente les images. Le texte de Schopfer est une succession de descriptions qui collent parfaitement aux gravures. Seul un passage – consacré à la lumière artificielle et à l’électricité (pp. 159-160) – n’a pas de correspondance illustrée : « As the day declines, the Exposition begins to glow with artificial light. Myriads of jets are reflected in the slow-moving waters of the Seine. Between the Trocadéro and the Champ de Mars the lights interlace and rival one another. Alcohol, electricity, and gas struggle for mastery under the trees, the leaves of which, filled with the brilliancy from beneath, seem magically green. The large street-lamps shed about them a uniform luster, crude and white; the lines of the Tour Eiffel are traced by means of steady-burning electric lights, and on the cornices of the buildings sparkle rows of gas-jets, trembling in the breeze as though alive; at the end of the Champ de Mars the Palace of Electricity is resplendent in jewels of color; and from the Château d’Eau, a hundred feet high, luminous fountains fall in dazzling cascades. From the top of the Tour Eiffel, from the summit of the German lighthouse, immense rays of electric light search the horizon and touch the far-off buildings of sleeping Paris with the glow of fire, or suddenly stream down upon the crowds massed in the gardens. Here, as in a flash of lightning, one sees thousands of white faces, compact and swaying. From the height of the Palais d’Optique a revolving light turns slowly, passing under its placid and monotonous examination the same walls and the same shady corners. Lanterns hung by thousands in the tree-branches seem like enormous blood-oranges in a new Garden of the Hesperides. » (pp. 159-160).
Dans l’ignorance de cet article de Jean Schopfer, Louis Godefroy en 1932 et à sa suite les auteurs du catalogue raisonné de l’œuvre gravé de Vallotton (Vallotton et Goerg, 1972) ont attribué des titres aux différents sujets et une date faussée, 1901, à L’Exposition universelle, se basant sur quatre sujets repris cette année-là dans la revue berlinoise Die Insel. Par conséquent, ils ont considéré comme manquants les « six bois gravés pour le Scribner’s New York » que Vallotton inscrit en 1900 dans son Livre de raison et dans son Livre de comptes. Louis Godefroy indique en effet : « Six illustrations pour ‹ Scribner’s › / (1900) / Nous n’avons rencontré aucune épreuve de ces six planches mentionnées par Félix Vallotton dans son ‹ Journal ›. Il est probable qu’elles sont demeurées inédites, car le directeur actuel de la maison d’édition Charles Scribner’s Sons, de New York, qui a mis la plus grande obligeance à nous aider dans nos recherches, n’a trouvé dans ses archives aucune trace de ces xylographies. » (Godefroy, 1932, nos 202-207). La date d’exécution de la série (1900 et non 1901) tout comme l’ordre attribué aux sujets (une alternance de formats verticaux et horizontaux) et leurs titres français et anglais doivent désormais être corrigés, d’après la publication originelle américaine pour laquelle les six bois ont été taillés. L’ordre et les titres des gravures sont indiqués dans la lettre de Schopfer datée du 15 juin 1900 qui accompagne l’envoi des épreuves : « The order is, with the text, the following. / 1. À la bijouterie / Looking at the Jewels ; 2. Le Déjeuner en plein air / The Family Picnic Lunch ; 3. L’Averse / The Shower ; 4. Rue d’Alger / The Street of Algiers ; 5. La Passerelle / A Foot-Bridge ; 6. Le Feu d’artifice / Fireworks ». Dans l’article, les titres anglais sont mentionnés sous chaque illustration.
En ce qui concerne les honoraires et les droits de reproduction, Schopfer annonce à Johnson dans un courrier non daté, sans doute rédigé entre le 19 avril et le 22 mai 1900 : « [Vallotton] would make 6 wood engravings and give to the ‹Century› the right of reproduction for 500 francs, the ‹Century› being the only Magazine or Review to have the right to publish them. / After they have appeared in the Century, he would publish them here at 100 copies only, grand tirage, for amateurs. / Do these conditions suit you? ». Le tirage des xylographies ne semble toutefois pas avoir atteint cent épreuves par sujet. (En juillet 1901, Vallotton vend et expédie 25 épreuves de chaque sujet, signées et numérotées, au marchand d’estampes Edmond Sagot (voir ici).) Dans une lettre du 22 mai 1900, Schopfer demande à Johnson à propos de la série de gravures : « Would you object to them being reproduced by the new German review ‹Insel›, after they have appeared in the Century. If you see any objection, write it to me. » Johnson n’a sans doute pas répondu puisque c’est Vallotton qui prend la plume et adresse une missive au même Johnson en 1901 : « Vous avez publié l’an dernier dans le Century les reproductions de six bois de moi faits sur l’Exposition universelle. Il était entendu que ces bois ne paraîtraient pas dans d’autre revue que la vôtre et j’y ai souscrit. Cependant j’aurais l’occasion de publier les originaux en Allemagne dans une revue d’art toute spéciale, et dont le tirage est infime (300 exemplaires). Cela me rendrait le service de faire publier mes dessins dans un milieu tout nouveau – Verriez-vous Monsieur un inconvénient à ce que je le fasse. Il me semble que cela ne peut vous porter aucun préjudice étant donnée surtout l’énorme importance du Century, et l’infimité de l’autre Revue (die Insel). [...] PS J’aurais également beaucoup désiré collaborer au Century. » Vallotton touchera 200 francs « pour six bois sur l’Exposition reproduits dans Insel » ainsi qu’il le relève dans son Livre de comptes. Il faut relever qu’il y distingue les « six bois gravés p [l’autrice souligne] le Scribners new york » en 1900 des mêmes « six bois sur l’Exposition reproduits dans [l’autrice souligne] Insel » en 1901. Sur les six bois, seuls quatre (voir The Family Picnic Lunch, The Shower, The Street of Algiers, Fireworks) seront reproduits dans Die Insel, d’octobre 1901 à janvier 1902, sans titre ni texte associé.
Concernant la mention de Scribner, que l’on trouve aussi bien dans le Livre de raison que dans le Livre de comptes de Vallotton, il convient de préciser que The Century Illustrated Monthly Magazine fait suite à Scribner’s Monthly, publié par Scribner & Company – Charles Scribner et ses associés – entre 1870 et 1881. En 1880, le fils de Charles Scribner revend ses parts, mais conserve l’usage de son nom. Ses anciens associés doivent alors renoncer au nom de Charles Scribner’s Sons et décident de baptiser la nouvelle maison d’édition « The Century Company ». Le premier numéro de la nouvelle formule sort en novembre 1881, sous le titre The Century Magazine. À en croire Vallotton, le nom de Scribner reste associé à cette publication.
1900LRZ429
«Six bois gravés p. le Scribner. New York»
puis en 1901
LRZ 470: «Six gravures sur bois sur l’Exposition universelle. p. Insel»
1900
«Six bois gravés p le Scribners’ new york 500»
puis en 1901
«pour six bois sur l’Exposition reproduits dans Insel 200»
11 lettres de Jean Schopfer, 1898–1902 et une lettre de Félix Vallotton de 1901 adressées à Robert Underwood Johnson, rédacteur en chef adjoint de The Century, conservées dans les «Century Company records, 1870-1924», The New York Public Library (Manuscripts and Archives Division)
J[ean] S[chopfer], «In the Crowd at the Paris Exposition. With Woodcuts drawn and engraved by F. Vallotton», The Century Illustrated Monthly Magazine (New York), vol. LXI, no1, novembre 1900, pp. 155-160.
Godefroy, 1932, nos 202–207 et nos 208–213
Vallotton et Goerg, 1972, nos 203–208, pp. 225–231 et nos 240–245, p. 270.
Alexandra Blanc, «L'Expostion universelle, 1901» in Félix Vallotton, 2010, pp. 98–99.
Poletti, 2019