No catalogue 051130
Crédit photographique : © Fondation Félix Vallotton (photographie : Etienne Malapert, Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne)
Droits : Réservés
Chocolat Kohler
Chocolat Kohler
Autonome
La publicité pour le chocolat Kohler qui paraît dans Le Cri de Paris en décembre 1901 porte la patte de deux Vallotton : les frères Félix et Paul. L’artiste a tout à la fois façonné et facilité la parution de l’annonce pour le compte de l’expert en chocolat à Lausanne. Ce dernier, Paul, apprend le métier dans l’entreprise chocolatière du père, puis rejoint l’une des premières fabriques de chocolat lausannoises, la Maison Kohler, en 1898 ; il y reste jusqu’en 1904, avant d’être engagé chez Cailler, à Broc (1905-1913). Félix, quant à lui, collabore au Cri depuis 1897 lorsqu’il signe cette annonce, une pleine page à la gloire de la gourmandise suisse désormais au cœur de Paris, Boulevard des Capucines.
D’emblée, l’enseigne « CHOCOLAT KOHLER » luit en majuscules noires au-dessus d’une scène de dégustation : une femme et une fillette cèdent à l’invitation de savourer une truffe, une perle noire dont se saisit l’une d’entre elles, point central vers lequel convergent tous les regards, véritable cible de l’action et du message. Vallotton distribue texte et image à parts égales, la lettre dessinée occupant la moitié supérieure de la composition, tandis que les personnages scénarisent en-contrebas ce que promet l’annonce. Celle-ci détaille l’adresse et l’assortiment, tandis que le lettrage semble se délecter d’une allitération due à l’absence d’accentuation et à la labilité des caractères art nouveau : « Chocolat a la noisette » laisse deviner un « … la la la… » visuel, le « t » final s’approchant d’un « L », l’espacement soudain étroit entre les mots. Parions que cette lecture d’une frivolité de langage, créée sans doute par inadvertance et trahissant surtout l’œil contemporain, n’aurait pas déplu à Vallotton, lequel paraît avoir eu quelque repentir à cet endroit dans le dessin original (fig. A). Aussi avait-il passé la robe de la chocolatière au crayon bleu, devenue grise une fois le dessin mis sous presse, le col montant ceignant une tenue toute d’élégance et de déférence, la sophistication des gestes ainsi mise en évidence. La parodie toujours à portée de main, Vallotton désamorce le ton-même de son dessin en ajoutant un chien à la scène, les pattes avant et le museau en attente d’une friandise, la mine canine n’ayant rien à envier à l’expectative enfantine.
Autour du chocolat s’organisent donc les figures – ainsi que la palette des blancs, des gris et des noirs – alors qu’au-dessus se déploie un encadrement sinueux, une ligne serpentine accordée à l’esthétique alors en cours. Le ruban assure ici un double rôle : celui de nouer le texte et l’image, puisque les extrémités viennent se mêler au vêtement de la vendeuse, et celui de figurer une conversation, puisque l’ourlet agit visuellement comme un phylactère. Les retraits du lacet étant placés à hauteur des deux adultes en interaction, on se plaît à entendre l’une et l’autre articuler les mots suspendus au-dessus d’elles.
Cette unité de forme comme de contenu est encore soulignée par les entrelacs que Vallotton ajoute au titre : le « C » initial se tresse autour de l’encadrement, tandis que le pied du « T » s’incurve dans la boucle du « R » tel un fil dans l’œil d’une aiguille. Ce style de lettre dessinée, où les caractères se soutiennent entre eux et occupent un rôle dans l’action-même du dessin, trouve ici l’un de ses exemples les plus aboutis. Vallotton parfait ici une recherche typographique entamée en 1892 pour Le Plan Commode de Paris et la Couverture de catalogue pour Sagot, ciselée à l’échelle d’une revue entière (la Revue franco-américaine, 1895), puis à l’appui du titre pour Femina la même année. L’empâtement des lettres exige par ailleurs un encrage dense, et par-là, vient ancrer l’« écriture artistique » de Vallotton parmi celle de ses contemporains, pour reprendre la désignation de Rudolf von Larisch dans l’ouvrage Beispiele künstlerischer Schrift en 1906 où figure une contribution de Vallotton (Le Dessin c’est la probité de l’art).
Preuve que le titre de l’annonce aura valeur de marque de fabrique, l’énoncé seul « CHOCOLAT KOHLER » sera repris au format réduit dans les numéros ultérieurs du Cri de Paris dès le 2 novembre 1902 (fig. B), dans les pages d’annonce et accompagné de la devise « Se trouve dans les meilleures maisons ». Plus encore, la dynamique fraternelle s’exporte cette même année, avec la parution dans la revue Jugend de la publicité traduite en allemand, « CHOCOLAT KOHLER Welt berühmte Marke für feine Sorten ». L’esthétique typographique entre alors parfaitement dans la grille stylistique de la revue, à laquelle Félix Vallotton avait contribué dès le numéro inaugural quelques années plus tôt. L’annonce y reparaîtra au moins jusqu’en 1904, date à laquelle la maison Kohler fusionnera avec la fabrique Peter, de Vevey, pour créer les chocolats Gala Peter. De nouveau de l’aventure, Paul commandera alors à son frère un autre projet publicitaire qui occasionnera chez Félix une véritable déclaration de foi pour la lettre dessinée.
Le lettrage vallottonnien sera abondamment repris sur d’autres supports tels que des plaques émaillées ou encore des boîtes en fer blanc, intégrant ainsi Vallotton dans l’évolution du design industriel. Relevons enfin que l’annonce pour le chocolat Kohler est l’une des trois publicités pour un produit qui s’intègrent dans un périodique auquel Vallotton collabore, les deux autres étant pour L’Eau de la vieille, parue dans la Revue franco-américaine en 1895, et pour la maison Colin, fonderie d’art, parue dans Le Cri de Paris en 1901.
Non spécifié
Non monogrammé
Le titre fait partie intégrante de l'illustration.
A. Félix Vallotton, dessin définitif pour Chocolat Kohler, 1901, encre de Chine, mine de plomb et crayon bleu sur papier, 40,5 x 26 cm, Lausanne, Fondation Félix Vallotton
Crédit photographique : © Fondation Félix Vallotton (photographie : Etienne Malapert, Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne)
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