No catalogue 013000
Le Courrier français, no 3, 21 janvier 1894, première de couverture illustrée par Adolphe Léon Willette
Crédit photographique : © Fondation Félix Vallotton / SIK-ISEA (photographie : Philipp Hitz)
Droits : Réservés
Le Courrier français
Le Courrier français
Illustré paraissant tous les dimanches. Littérature. Beaux-Arts. Théâtres. Médecine. Finance
Le Courrier français est un hebdomadaire fondé en 1884 par le publicitaire et socialiste révolutionnaire Jules Roques (1850-1909). Humoristique et léger, il rend notamment compte des activités des cabarets, des cafés-concerts, des théâtres ainsi que des bals, des expositions et des concerts parisiens. Roques organise lui-même de nombreux bals costumés entre 1891 et 1899. Imprimé en noir et blanc par le procédé Gillot (Bihl, 2011/2, p. 146), ce journal accorde une large place à l’illustration de type satirique. Les dessinateurs les plus en vue de l’époque y collaborent (presque tous issus de la bohème montmartroise) : Jean-Louis Forain, Jules Chéret, Louis Legrand, Adolphe Willette, Henri Pille, etc. Les dessins publiés sont autonomes, à la différence d’autres périodiques tel le Gil Blas illustré dans lequel les dessins illustrent toujours des textes.
C’est en ces termes que Laurent Bihl décrit le contenu de l’hebdomadaire : « De format 30 x 40, le périodique s’ouvre sur une page consacrée à un éditorial, le plus souvent signé Jules Roques, auquel s’adjoint la ‹ Gazette Rimée › de Raoul Ponchon. Alternent alors de brèves chroniques, récits, analyses littéraires ou poésies diverses, sans rapport avec les illustrations de tous formats qui émaillent les pages. Les dessins de pleine page se trouvent en pages impaires, d’abord en page 5, puis 7 lorsque le périodique monte de 8 à 12 pages. La présence de double page en page 6 et 7 annule le second dessin de pleine page, ou le fait glisser en page 9, lors des années fastes (1892-1896). Les dernières pages sont consacrées à la critique théâtrale, l’avant-dernière alternant les premières réclames, la chronique financière et les horaires ferroviaires. La dernière page accueille des encarts publicitaires, souvent pour le titre lui-même puisque la ligne éditoriale intègre régulièrement de la réclame plus ou moins déguisée dans ses colonnes ‹ sérieuses ›. » (Bihl, 2010, vol. I, p. 142).
La première contribution de Vallotton au Courrier français date du 21 janvier 1894. Le périodique existe alors depuis dix ans et jouit d’une large diffusion (en ce qui concerne le tirage, voir Bihl, 2010, p. 575). Aux dessinateurs du début, toujours actifs, sont venus s’ajouter de plus jeunes artistes, tel Louis Anquetin. Il s’agit du premier journal auquel Vallotton collabore en tant que dessinateur de presse.
Il n’est pas impossible que ce soit Jules Chéret (1836-1932), dont Vallotton a fait la connaissance suite à l’article à son sujet qu’il publie le 8 avril 1891 dans la Gazette de Lausanne (sur ce point, voir l’illustration L’Affichage moderne, dans laquelle Vallotton représente l’affiche réalisée par Chéret pour Le Courrier français), qui ait fait rentrer Vallotton au Courrier français.
Le Livre de comptes de Vallotton nous fournit d’intéressantes informations au sujet des douze dessins publiés entre le 21 janvier et le 13 mai 1894 – douze dessins dans onze numéros, tous à l’intérieur de la publication et la plupart dans un format pleine page, les couvertures de l’année 1894 étant exclusivement illustrées par Willette ou par Forain – : six sont payés 75 francs la pièce et correspondent à des dessins réalisés expressément pour Le Courrier français (voir Au Bal de l'Opéra, Misère de ce monde, Amateurs convaincus, Modestie, [Le Terminus], La Revanche de Panama) ; trois que Vallotton avait en réserve, mais néanmoins inédits, ne sont payés que 50 francs (leur mention soulignée dans le Livre des comptes signale leur antériorité) (voir Les Chanteurs, Les Hercules, Intimités) ; trois enfin ne seront pas honorés. Cela explique très certainement l’arrêt de la collaboration de Vallotton, puisqu’il s’agit de ses trois derniers dessins publiés (voir Sur les boulevards, L'Épave, La Sortie). Vallotton retient en outre trois autres dessins initialement destinés au Courrier français pour les faire paraître dans Le Rire (voir [Oh m'man !...], Le Beau dimanche, Le Coup de main).
Deux types de dessin s’observent dans Le Courrier français : flottants (voir Au Bal de l'Opéra, Misère de ce monde, Amateurs convaincus, Modestie, Intimités, [Le Terminus], La Revanche de Panama) et circonscrits. Ces derniers (voir Les Chanteurs, Les Hercules, Sur les boulevards, L'Épave, La Sortie), tout comme Le Coup de main initialement prévu pour Le Courrier français mais finalement paru dans Le Rire, semblent tous liés à la suite de zincographies intitulée Paris intense. On peut en effet émettre l’hypothèse concernant Paris intense que Vallotton ait d’abord pensé à une série composée de formats verticaux (pour laquelle il ne réalise toutefois pas de version zincographiée) avant de se fixer sur un format horizontal. Les six dessins circonscrits n’auraient ainsi pas été réalisés spécialement pour Le Courrier français. Ils présentent une homogénéité quant aux sujets représentés (scènes de rues où la foule est rassemblée autour d’une attraction) ; en matière de format, leurs proportions sont identiques ; à l’exception de Sur les boulevards, tous ont leur titre intégré dans un cartouche (un principe réservé aux gravures) ; aucun n’est légendé ; enfin, un même sujet, Les Chanteurs, existe en version verticale dans Le Courrier français et en format horizontal dans Paris intense.
Vallotton appliquait déjà en 1892 son talent de graveur aux scènes de rues parisiennes. Celles-ci étaient très en vogue à l’époque, notamment sous l’influence des traités consacrés aux foules tels que La Psychologie des foules de Gustave Le Bon (1895). Cet ouvrage considère la foule comme un tout mû par des intentions collectives. Des idées proches nourrissent les travaux de Vallotton, lesquels dépeignent le comportement de la foule plutôt que l’idée qui la motive. Ceci est à l’œuvre dans la suite de zincographies Paris intense et, deux ans plus tard, dans les 31 dessins réalisés pour Les Rassemblements, ouvrage édité par Octave Uzanne.
Les sept autres dessins, réalisés quant à eux expressément pour Le Courrier français, présentent des caractéristiques différentes : tous sont flottants (et non circonscrits dans un rectangle), légendés (par le dialogue entre les personnages représentés), font référence à un sujet d’actualité et se situent dans un intérieur. Les légendes sont dues à Vallotton, comme l’atteste le dessin original pour Le Bal de l’Opéra.
La correspondance de Vallotton confirme que c’est bel et bien en raison de différends d’ordre financier que l’artiste a cessé de collaborer au Courrier français. Le 24 janvier 1894, il écrit à son frère Paul : « Je suis entré au Courrier français, et pense continuer à y donner un dessin par semaine ; cela moyennant que Roques tienne ses engagements, car sinon je lâche tout. » (Documents, vol. I, lettre 47, p. 104). Puis, quelques jours plus tard, le 10 février 1894, il déplore : « Quant au Courrier français, j’y ai fait sur la demande du directeur 4 dessins, dont deux payés, les autres pas encore, mais j’espère encore ne pas les perdre. Je voudrais pouvoir y rester mais s’il faut travailler pour rien ça m’ennuie. Quand il paie, il paie très bien. fr. 75 un dessin d’une demi-journée de travail. Ce serait gentil, à un par semaine. - Enfin nous verrons. - » (Documents, vol. I, lettre 48, p. 106).
Finalement, Vallotton informe son frère le 10 juin 1894 de sa décision : « Je ne fais plus rien au Courrier qui m’a lâché me devant fr 300, d’où baisse sensible dans mes affaires. N’étaient les encouragements sincères que de part et d’autres je récolte, je serais bien découragé, car tout le monde est bien superficiel et répugnant. » (Lausanne, Fondation Félix Vallotton).
Adolphe Willette (1857-1926), collaborateur du Courrier français durant vingt-cinq ans et auteur de nombreuses couvertures du journal, se souvient d’avoir été payé « […] d’abors [sic] à 50 francs le dessin, puis à 60 francs, et dans les derniers temps, à 150 francs. […] Roques, […] ne me payait plus que de temps à autres, par acompte, ainsi qu’il agissait avec mes confrères Lunel, Heidbrinck et le poète Raoul Ponchon, gloire du Courrier. » (Bihl, 2011/1, pp. 46-47).
Vallotton semble pourtant avoir été considéré comme un collaborateur prometteur étant donné qu’il a bénéficié d’un article monographique circonstancié, assorti, sur une pleine page, d’un portrait dessiné par Hermann-Paul (1864-1940) (fig. A), seul article de ce type paru en 1894. L’auteur de l’article, le journaliste anarchiste Michel Zévaco (1860-1918), relève les deux tendances qui se dégagent des dessins livrés par Vallotton : « Pour le dessin, il a affirmé ses tendances par une collection de six planches publié par l’éditeur Joly : Paris intense. C’est bien Paris, en effet, Paris vu par un intensif […] Au Courrier français où il vient de débuter, il donnera spécialement cette note, à moins qu’il ne cherche à couler dans la forme, à emprisonner dans les lignes l’actualité ondoyante et diverse, l’idée qui passe, la pensée ‹ en l’air › qu’il faut saisir d’un trait. » (Michel Zévaco, « Nos collaborateurs. Félix Vallotton », Le Courrier français, 25 mars 1894, p. 8.)
Relevons qu’il s’agit là du premier dessin d’Hermann-Paul à paraître dans le journal. C’est Vallotton xylographe et non illustrateur qui y est représenté, les mains dans son catable d’estampes, se tenant derrière un amateur. Au mur, on devine deux de ses œuvres : La Manifestation de 1893 et À Richard Wagner de 1891. Il faut ensuite attendre le 13 mai 1894, date de la dernière contribution de Vallotton, pour retrouver Hermann-Paul qui devient alors un collaborateur régulier du journal, avec une contribution par semaine. L’engagement d’Hermann-Paul commence véritablement au moment où celui de Vallotton s’interrompt.
Vallotton réalisera également un portrait d’Hermann-Paul.
Voir fiches liées
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Michel Zévaco, « Nos collaborateurs. Félix Vallotton », Le Courrier français, 25 mars 1894, p. 8-9
St-James, 1979, [pp. 7, 8]
Abélès, 1999, p. 316.
Bachollet, 2003, pp. 493–221
Laurent Bihl, « Le Courrier français », mis en ligne le 14 juin 2007 sur Caricatures & caricature (http://www.caricaturesetcaricature.com/article-11223897.html)
Bihl, 2010
Laurent Bihl, « Jules Roques (1850-1909) et Le Courrier français », Histoires littéraires, vol. XII, no 45, janvier-février-mars 2011, p. 43-68
Laurent Bihl, « Le Courrier français (1884–1913, Paris) », Ridiculosa, no 18 (« Panorama de la presse satirique »), 2011, pp. 146–149