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L’illustration, pièce manquante du puzzle vallottonnien1

Katia Poletti

Ce catalogue raisonné met en lumière l’ampleur de la créativité de Félix Vallotton comme illustrateur et dessinateur de presse. Réalisées principalement entre 1893 et 1903, quelque 1’200 de ses illustrations ont été diffusées dans des livres, des périodiques, des affiches et d’autres supports imprimés. Si la visibilité de leur auteur était avant tout ancrée dans la presse et le milieu éditorial parisiens, son rayonnement a rapidement dépassé les frontières françaises. Son style distinctif, à la fois décoratif et incisif, lui a valu une reconnaissance internationale et a propagé la portée de son art bien au-delà des cercles parisiens.

Reconnue et largement répandue de son vivant, cette facette de l’œuvre de Vallotton a été négligée par la recherche, bien qu’elle soit essentielle à une compréhension globale de l’artiste à la fin du xixe siècle. Pendant cette période, Vallotton diversifie ses activités, entre peinture, gravure, illustration, dessin de presse, arts graphiques et décoratifs, et même critique d’art. Si son œuvre de peintre, de graveur, de critique d’art2 et d’écrivain3 est aujourd’hui bien connu, grâce notamment au catalogue raisonné de Charles Goerg et Maxime Vallotton pour les gravures4 et à celui de Marina Ducrey pour les peintures5, les travaux du dessinateur, marginalisés, ont manqué de reconnaissance, malgré les contributions pionnières d’Ashley St James et de Jean-Paul Morel6. Cette lacune est comblée par le présent catalogue raisonné et permet, désormais, de mesurer l’envergure de l’œuvre de Félix Vallotton, tant sur le plan de l’innovation stylistique que de l’influence artistique.

Des débuts académiques à la gravure, l’avènement d’un style

En 1882, à seulement seize ans, Félix Vallotton quitte Lausanne, sa ville natale, pour s’établir définitivement à Paris. Ses premières années dans la capitale française sont partagées entre sa formation à l’académie Julian et l’exécution de portraits peints dans une veine réaliste, qu’il expose au salon de la Société des artistes français. Un tournant décisif survient en 1891 : il renonce à cette manifestation annuelle, trop conservatrice à son goût, au profit du Salon des indépendants. La même année, il se forme à la technique ancienne de la gravure sur bois de fil sous la conduite de son ami et mentor idéologique, le peintre et graveur Charles Maurin. Ce procédé, qui privilégie les aplats francs, offre à Vallotton un mode d’expression caractérisé par le contraste prononcé entre surfaces noires et blanches, sans nuance intermédiaire, qui devient rapidement sa marque de fabrique.

Le style percutant de ses xylographies attire l’attention du public et de la critique, tout comme celle des Nabis. En 1893, Vallotton rejoint ce groupe de jeunes artistes, auquel appartiennent, entre autres, Édouard Vuillard, Pierre Bonnard et Maurice Denis. Pendant dix ans, les Nabis multiplient les disciplines, s’adonnant tour à tour à la peinture, à la gravure, à la réalisation d’objets d’art appliqué, d’affiches, de programmes de théâtre et d’illustrations pour des livres et des journaux. Liés au cercle de la prestigieuse Revue blanche, aux côtés d’Henri de Toulouse-Lautrec, ils participent à l’essor de la presse illustrée, qui connaît son apogée à la fin du xixe siècle. Vallotton se distingue toutefois comme le plus actif dans le domaine du dessin de presse.

À partir de 1894, les thématiques sociales qui caractérisaient ses gravures sur bois, notamment les scènes de rue dénonçant les abus sociaux et l’oppression du pouvoir – L’Anarchiste, La Charge, La Manifestation –, migrent vers le dessin de presse, auquel Vallotton réserve désormais l’expression de son engagement en faveur de la justice, plus particulièrement contre la brutalité des forces de l’ordre. À contre-courant de l’idée d’un travail souvent considéré comme alimentaire, son action se prolongera dans un contexte personnel devenu plus confortable : après son mariage avec Gabrielle Rodrigues-Henriques née Bernheim en 1899, il reste attaché à sa mission de critique sociale à travers l’art en produisant des dessins d’une virulence exceptionnelle, comme en témoigne la série Crimes et châtiments publiée dans L’Assiette au beurre en 1902.

Durant ces années, dans sa correspondance, Vallotton ne cesse d’exprimer sa frustration de ne plus pouvoir peindre, signe de la tension entre son travail chronophage d’illustrateur et sa vocation de peintre. Dans les années 1890, sa renommée repose davantage sur ses dessins publiés dans la presse et dans les livres que sur ses xylographies, dix fois moins nombreuses et diffusées par d’autres canaux. L’adoption, dans ses dessins, du style synthétique propre aux gravures, reconnaissable entre mille, crée une parenté stylistique qui perpétue aujourd’hui encore une confusion : les dessins de Vallotton continuent d’être régulièrement pris à tort pour des gravures sur bois.

Naissance d’un illustrateur

En 1885, le Livre de raison de l’artiste7 fait état de douze œuvres, onze portraits peints, suivis de « deux dessins pour L’Art », toute première mention de travaux d’illustration. Ceux-ci n’ont pu être identifiés avec certitude dans la revue fondée en 1875 par Eugène Vernon, qui publie en 1885 plusieurs reproductions d’œuvres gravées par Félix Jasinski, l’ami de Vallotton et son camarade à l’académie Julian. Bien que le nom de Vallotton n’apparaisse pas dans les tables alphabétiques des artistes, deux illustrations non signées et non légendées, absentes des index en fin de volume, pourraient néanmoins lui être attribuées. Il s’agit de deux lettres ornées, dont le style diffère des autres dessins reproduits dans la revue. Si cette hypothèse se vérifiait, elles seraient les premières créations de Vallotton dans l’art de la lettrine et des lettres dessinées, omniprésent dans son œuvre d’illustrateur8. Ces premiers indices annoncent une pratique qui ne tardera pas à s’affirmer. La période qui suit, celle des premières commandes officielles et des premières contributions à des revues, marque le véritable envol de Vallotton illustrateur et dessinateur de presse.

Premières collaborations et essor d’un langage graphique

La collaboration de Vallotton à la Revue illustrée débute en 1888, lorsqu’il dessine les portraits de trois personnalités du monde littéraire et musical : Paul Verlaine, Catulle Mendès et Édouard Lalo. Elle se limitera finalement à la publication tardive du seul portrait de Verlaine.

Dans ces mêmes années, il s’adonne également à la gravure d’interprétation. On relève ainsi une dizaine d’œuvres à l’eau-forte réalisées entre 1888 et 18919, destinées à reproduire et diffuser des œuvres d’art à grande échelle. En 1889, deux d’entre elles font l’objet de commandes d’éditeurs, comme l’indique le Livre de comptes de l’artiste10 : pour Damase Jouaust, imprimeur et éditeur, il grave Bretonnes au pardon d’après Pascal Adolphe Dagnan-Bouveret11 ; pour la Gazette des beaux-arts, il grave Le Soir dans un hameau du Finistère d’après Jules Breton12.

L’hiver 1891 marque cependant un tournant décisif. Vallotton s’attaque à la xylographie. Le 19 janvier 1892, il annonce à son frère Paul : « Je continue à faire du bois, une idée qu’on m’a amorcée, mais j’ignore encore s’il en résultera quelque chose. […] J’en aurai je crois bientôt dans une revue ; le directeur, un artiste, s’est emballé sur moi, et m’a promis un article, je l’illustrerais, bien entendu, de ceci comme d’autre chose13. » Ladite revue, L’Art et l’Idée, est éditée par le bibliophile et journaliste Octave Uzanne. Publié le 20 février, son article intitulé « La renaissance de la gravure sur bois. Un néo-xylographe M. Félix Vallotton » est illustré de onze gravures sur bois, dont certaines taillées spécialement pour la revue avant d’être diffusées sous forme d’estampes. En le présentant comme le pionnier du renouveau de la gravure sur bois, l’article d’Uzanne joue un rôle déterminant dans la reconnaissance de Vallotton. Grâce à lui, ce dernier est invité à exposer au premier salon de la Rose † Croix, tenu à Paris du 10 mars au 10 avril 1892. Vallotton peut pour la première fois y présenter ses xylographies au public. La sensation qu’elles provoquent se concrétise par une notoriété croissante, notamment auprès des Nabis qui l’admettent dans leur groupe, au début de 1893, et au contact desquels il développe un style synthétique fondé sur la combinaison d’aplats et d’arabesques.

Parallèlement, 1892 est aussi l’année où Vallotton entreprend des projets graphiques novateurs. Pour l’éditeur Louis Joly, il crée l’affiche Le Plan commode de Paris, ainsi que la couverture des seize lithographies de la suite de portraits charges Immortels passés, présents ou futurs14. Pour le libraire, marchand d’art, éditeur d’estampes et d’affiches Edmond Sagot, il grave une couverture de catalogue. Ces trois réalisations inaugurent une particularité de son œuvre graphique : l’osmose entre la scène figurée et la lettre. C’est-à-dire que les caractères, conçus et dessinés par lui-même, sont partie intégrante de l’image. Il pose ainsi les bases de son influence durable dans le monde de l’illustration, tout en ouvrant la voie à ses propres grands projets à venir.

Débuts dans le monde du livre illustré et du dessin de presse

À l’été 1893, Vallotton décroche sa première commande d’illustrations, pour Le Livre de Marguerite de Mathias Morhardt. L’ouvrage aurait dû être publié en 1894 à Genève chez Charles Eggimann, mais il n’a jamais vu le jour malgré un projet éditorial très avancé, comme il ressort de la correspondance entre Vallotton, Morhardt et Eggimann15. Les contributions de Vallotton comptent deux xylographies, pour la couverture et pour un encadrement, et deux dessins préparatoires, pour d’autres encadrements (Les Jours mauvais et Les Jours de fêtes). Il a conçu ses illustrations comme des dessins, dont une portion rectangulaire centrale est délibérément supprimée. Ce principe, qu’il reprendra en 1897 pour deux gravures sur bois encadrant des poèmes de Morhardt publiés dans L’Image (Jours d’été et Jours d’hiver), se distingue de celui adopté en 1895 pour la Revue franco-américaine, où l’accent est mis sur l’ornementation (voir, par exemple, Chroniques).

À la même période, Vallotton commence à se faire une place dans la presse illustrée. À la fin de l’année 1893, il collabore à L’Escarmouche, hebdomadaire fondé cette année-là et dirigé par l’écrivain antimilitariste et contestataire Georges Darien. Onze numéros seulement de ce journal éphémère paraîtront entre le 12 novembre 1893 et le 16 mars 1894. Les contributions de Vallotton s’y limitent à deux lithographies légendées (Les Raseurs et Dernière nouveauté pour deuil). Néanmoins, il obtient bientôt son premier engagement comme dessinateur de presse au Courrier français. Pour cet hebdomadaire humoristique et léger, fondé en 1884 par le publicitaire et socialiste révolutionnaire Jules Roques, il crée deux types de dessins : flottants et circonscrits dans un rectangle. Ces derniers montrent une foule rassemblée dans la rue autour d’une attraction (voir, par exemple, Les Hercules). L’animation des rues parisiennes est une thématique que Vallotton traite en xylographie depuis 1892. Très en vogue à l’époque, elle est l’objet de traités consacrés aux foules comme la Psychologie des foules de Gustave Le Bon (1895), où la foule est vue comme un tout mû par des intentions collectives. Des idées proches nourrissent les travaux de Vallotton : il capture la dynamique collective de la foule, mettant l’accent sur son comportement plus que sur ses motivations, comme en témoignent, deux ans plus tard, les 31 dessins réalisés pour l’ouvrage édité par Octave Uzanne Les Rassemblements. Les sept autres dessins, créés expressément pour Le Courrier français, diffèrent sur plusieurs points des précédents : ils sont tous flottants, traitent de sujets d’actualité, sont situés dans un intérieur et comportent des légendes attribuables à Vallotton, constituées de dialogues entre les personnages (voir, par exemple, Modestie).

En raison de différends financiers, Vallotton quitte Le Courrier français en mai 1894, après seulement quatre mois de collaboration. Il semble pourtant avoir été apprécié comme un contributeur prometteur, à en juger par un article monographique basé sur un entretien et illustré d’un portrait en pleine page dessiné par Hermann-Paul. L’auteur de l’article, le journaliste anarchiste Michel Zévaco, souligne les deux partis pris qui se dégagent des dessins de Vallotton livrés au Courrier français : « Pour le dessin, il a affirmé ses tendances par une collection de six planches publiée par l’éditeur Joly : Paris intense. C’est bien Paris, en effet, Paris vu par un intensif […]. Au Courrier français où il vient de débuter, il donnera spécialement cette note, à moins qu’il ne cherche à couler dans la forme, à emprisonner dans les lignes l’actualité ondoyante et diverse, l’idée qui passe, la pensée ‹ en l’air › qu’il faut saisir d’un trait16. »

Première contribution à La Revue blanche

C’est avec une gravure sur bois intitulée Baigneuses, publiée en frontispice du numéro de février 1894, que Vallotton fait son entrée à La Revue blanche. Fondé par les frères Natanson, Thadée, Louis-Alfred et Alexandre, ce périodique de sensibilité anarchiste, l’un des plus influents de la fin du xixe siècle, soutient l’avant-garde artistique et littéraire et constitue un véritable carrefour d’idées. Vallotton devient un collaborateur régulier de la revue dès février 1895, après avoir déjà figuré au nombre des artistes nabis, ou proches du groupe, auteurs d’« estampes originales inédites », annoncées en avril 1893 et publiées de juillet 1893 à décembre 1894 en frontispice de chaque numéro.

C’est également dans l’univers de La Revue blanche que s’inscrit son travail pour Le Chasseur de chevelures, un supplément parodique fondé par Tristan Bernard et « incorporé matériellement à [la] publication, mais intellectuellement autonome17 ». C’est là que Vallotton publie, en avril, mai et juillet 1894, ses tout premiers « masques », onze petites effigies à l’encre de Chine, certaines de type caricatural, qu’il appelle alors « têtes » dans son Livre de raison et « portraits dessins » dans son Livre de comptes. Ils paraissent ainsi dans les pages d’une Revue blanche encore dépourvue d’illustrations in-texte. Tous illustrent des rondels de Romain Coolus, dont le titre et la teneur satirique épinglent des hommes et des femmes de lettres (voir, par exemple, Francisque Sarcey).

Plus encore que de Tristan Bernard, la collaboration de Vallotton au Chasseur de chevelures est indissociable de Romain Coolus. Les deux hommes se rencontrent fin 1893 par l’entremise d’Édouard Vuillard, lorsque Vallotton grave le portrait de Coolus18. Leur complicité les conduira à travailler ensemble durant quatre ans sur divers autres projets19. Cette association préfigure la connivence bientôt partagée entre Vallotton et Jules Renard.

Après la disparition du Chasseur de chevelures, La Revue blanche reprend à son compte l’idée lancée dans son supplément : de février 1895 à janvier 1902, elle publie une centaine de masques de Vallotton20. L’humour cède le pas à une veine plus objective dans ces petits dessins, où formes épurées et schématisation des détails deviennent emblématiques d’un style synthétique sans pareil, qui distingue Vallotton et lui permet de multiplier les collaborations. Plus de 300 de ses masques paraîtront ainsi dans une dizaine de titres de la presse française – notamment la Revue des revues, Le Cri de Paris, le Mercure de France – et internationale, mais également dans des livres, dont les deux volumes du Livre des masques de Remy de Gourmont publiés en 1896 et 1898 aux éditions du Mercure de France.

Comme pour La Revue blanche, c’est aussi une xylographie, Le Bain, qui inaugure, fin 1894, la collaboration de Vallotton à The Chap-Book, revue avant-gardiste fondée en mai 1894 à Chicago par Herbert Stuart Stone et Hannibal Ingalls Kimball. Ce bimensuel de petit format, imprimé en deux tons (noir et rouge), fait la part belle à l’image sous la forme d’illustrations en pleine page. Son orientation ouvertement francophile et les contributions de Paul Verlaine et de Stéphane Mallarmé, qui y publient des textes encore inédits en France, expliquent le recrutement de Vallotton, qui est en lien avec les deux poètes.

Entre estampe et arts appliqués, la collaboration avec André Marty

Au printemps 1894, Vallotton réalise un billet funéraire pour La Papeterie d’art d’André Marty. Cette première commande instaure trois années d’une fructueuse collaboration : jusqu’en 1897, Vallotton se distingue comme l’artiste le plus impliqué dans les entreprises de Marty21. Dans un esprit d’ouverture aux « arts d’impression », selon le sous-titre de L’Estampe originale22, la revue mensuelle publiée par Marty, il développe plusieurs projets pour ce dernier. Ses créations incluent le graphisme ornemental, la typographie, la décoration d’intérieur ainsi que des objets d’art appliqué. En se consacrant aux arts d’impression sous diverses formes, Vallotton élargit non seulement son champ d’action, mais contribue également au renouvellement de la production artistique dans des domaines jusque-là perçus comme utilitaires. Fin 1894, il participe à une série de programmes du théâtre de l’Œuvre, de Lugné-Poe, lithographiés entre 1893 et 1900 par différents artistes, liés pour la plupart au groupe des Nabis. Son unique contribution à la série présente, sur la gauche, le programme de la représentation du 14 décembre 1894 de la pièce d’August Strindberg, Père, et sur la droite, une publicité pour les éditions d’art de L’Estampe originale d’André Marty, où l’on voit un imprimeur et un amateur devant les rayons d’une presse à imprimer.

Satire et complicité littéraire au Rire

La collaboration de Vallotton au Rire est annoncée le 10 novembre 1894 dans le premier numéro de cet hebdomadaire humoristique fondé par le critique d’art Arsène Alexandre, responsable de la partie artistique, sous la direction de l’éditeur Félix Juven. Véritable vitrine pour les artistes de l’humour visuel, Le Rire offre à Vallotton un espace idéal pour la diffusion de son style tranchant. Entre le 1er décembre 1894 et le 2 juillet 1898, celui-ci y publie 59 dessins, satiriques pour la plupart et créés main dans la main avec Jules Renard, qui en rédige les légendes23 ou parfois de plus longs textes (Au voleur !). Cette association marque le début d’une relation étroite, animée par une affinité pour un humour proche et qui donnera le jour, jusqu’en 1902, à des publications d’une grande diversité.

Anarchisme en filigrane24

Une autre affinité se dessine : celle avec les milieux anarchistes. Les convictions libertaires de Vallotton se révèlent dès 1892 dans la correspondance avec son frère : « L’anarchie gagne du terrain de façon constante, écrit-il, et j’espère bien d’ici peu que nous aurons quelques satisfactions de ce côté25. » La rencontre, en 1885 à l’académie Julian, de l’élève Vallotton avec le tout récent professeur Charles Maurin a été déterminante à cet égard. Pris d’affection pour le jeune suisse, Maurin, influent dans les cercles anarchistes de l’époque, devient son soutien moral et son mentor, notamment sur le plan idéologique. Thadée Natanson se souvient : « Les deux peintres nourrissaient la même haine des agents que Maurin appelait ‹ cognes › et la même, des chiens. Les théories anarchistes, dont Lautrec avait appris de Charles Maurin la virulence, fournissaient souvent à Maurin et à Vallotton des sujets de conversation qui les soulevaient26. »

En 1894, Paris est le théâtre de perquisitions, arrestations, condamnations et incarcérations d’anarchistes27. Face à cette répression, Vallotton, résident étranger à Paris – il n’obtiendra la nationalité française qu’après son mariage avec Gabrielle Rodrigues-Henriques en 1899 –, doit faire preuve de prudence. Toute implication directe dans des actions anarchistes peut entraîner son expulsion ou de lourdes sanctions28. Dans ce contexte, on peut s’étonner que ses premières illustrations pour un livre aient concerné Le Grand Trimard, un brûlot écrit par Zo d’Axa, fondateur de l’hebdomadaire anarchiste L’Endehors. Publié à Bruxelles en mars 1895, il relate un périple rédigé en prison. La volonté de voir son ouvrage illustré par des artistes qui partageaient ses convictions politiques a incité Zo d’Axa, via Félix Fénéon, à se tourner vers Vallotton, certes encore inexpérimenté dans ce domaine, mais dont il connaissait sans doute les opinions et appréciait le style incisif.

Vallotton et Fénéon, une alliance intellectuelle et graphique

Sa rencontre avec Fénéon est décisive pour la carrière de Vallotton. Bien que les circonstances précises en soient incertaines, on peut la situer à la fin de l’été 1894. Peu auparavant, fin avril, Fénéon est arrêté en raison de sa collaboration active à L’Endehors et pour sa supposée participation à des attentats anarchistes. Il figure parmi les militants socialistes libertaires et anarchistes inculpés lors du procès des Trente, qui s’ouvre début août. Acquitté puis libéré le 12 août, il fait probablement la connaissance de Vallotton dans le cercle des Nabis et de La Revue blanche. Il entretient en effet une relation privilégiée avec Thadée Natanson qui, après avoir mandaté un avocat pour sa défense, l’embauchera en janvier 1895 comme secrétaire de rédaction de La Revue blanche. Il en deviendra le rédacteur en chef à partir de 1896 et assumera cette responsabilité pendant huit ans, jusqu’à la disparition du périodique, sans jamais y figurer dans l’ours.

C’est dans ce contexte que s’opère une double arrivée : le numéro du 1er février 1895 marque l’entrée simultanée de Félix Vallotton et de Félix Fénéon à La Revue blanche. Quelques semaines plus tôt, le 10 janvier 1895, Fénéon reprend de Lucien Muhlfeld le poste de secrétaire de rédaction29. Ses réformes éditoriales trouvent un écho dans l’approche graphique de Vallotton. Illustrateur attitré de la revue durant sept ans, de février 1895 à janvier 1902, ce dernier conçoit des dessins rapidement associés à sa signature : les masques, petits portraits synthétiques, à la fois incisifs et minimalistes, qui s’accordent parfaitement avec la nouvelle dynamique insufflée par Fénéon.

La collaboration entre les deux hommes, née d’un engagement anarchiste partagé et magnifiée par leur travail commun à La Revue blanche, marque un tournant capital dans l’évolution de Vallotton, dont l’esthétique synthétique trouvera dans ce cadre une pleine reconnaissance.

Avec les masques, l’affirmation d’un style

En 1895, La Revue blanche publie quinze masques de Vallotton. Ces petits dessins, qui représentent soit l’auteur⋅trice, soit le sujet de l’article qu’ils illustrent, identifient le personnage par quelques traits et aplats noirs (voir, par exemple, Bakounine). Loin des exagérations propres à la caricature, ils restituent une image synthétique du modèle, qui révèle les traits essentiels de sa physionomie dans un langage graphique minimaliste. Cette formulation synoptique, Vallotton l’obtient en travaillant principalement à partir de photographies, dont il accentue les contrastes en éliminant les nuances de gris au profit de l’opposition marquée entre le noir et le blanc.

Vallotton retient en particulier l’attention de Remy de Gourmont, qui sollicite son concours le 2 novembre 1895 : « La Revue des revues va publier, sous ma signature, une série d’articles sur les écrivains et d’abord les poètes nouveaux. Elle désirerait que la notice de chaque écrivain fût illustrée d’un portrait signé de vous, comme ceux qui sont si remarqués dans La Revue blanche30. » Et c’est au même Remy de Gourmont qu’est due l’homologation du mot « masque » dans cette acception en 1896, lors de la reprise pour son Livre des masques des portraits parus dans la Revue des revues.

Vallotton et Renard ou quand le dessin guide le texte

Supplément de La Revue blanche, Nib – « rien » en argot – succède au Chasseur de chevelures. Inséré dans la revue sous la forme d’une feuille imprimée recto verso et pliée, il paraît à trois reprises : le 1er janvier, le 15 février et le 1er avril 1895. Chaque numéro est réalisé par un tandem composé d’un artiste et d’un homme de lettres : Henri de Toulouse-Lautrec et Tristan Bernard, Félix Vallotton et Jules Renard, Pierre Bonnard et Romain Coolus. Si certains contributeurs sont d’anciens du Chasseur de chevelures (Bernard, Renard, Coolus et Vallotton), Nib se distingue de ce précédent supplément par son caractère hautement allusif et par la place centrale accordée à l’image. Son deuxième numéro, publié le 15 février 1895, aussitôt après l’arrivée de Vallotton à La Revue blanche, introduit une formule innovante, qui attribue à l’artiste un rôle plus actif dans la conception du feuillet. Le texte y est subordonné au dessin, comme l’indique le titre en page deux : « Dessins de Félix Vallotton, commentés par Jules Renard. » Cette inversion de la hiérarchie habituelle entre texte et image se répète lors de la collaboration du duo Renard-Vallotton au Rire, où paraît le 16 mars 1895 Au voleur !. Comme dans Nib, le dessin précède le texte qui l’accompagne31. Ce type d’interaction, qui bouleverse la définition traditionnelle de l’illustrateur censé mettre en image un texte existant, atteindra son apogée dans Les Rassemblements.

Succès américain des masques

L’originalité de ses masques n’est pas passée inaperçue auprès de la revue avant-gardiste de Chicago The Chap-Book, à laquelle Vallotton collabore depuis décembre 1894 et dont il est l’illustrateur européen le plus représenté. Entre le 15 mai 1895 et le 15 mai 1896, elle publie ses portraits d’Émile Zola, de Stéphane Mallarmé et d’Arthur Rimbaud, dessinés dans l’esprit des masques livrés à La Revue blanche, mais d’un format plus grand. La tache d’encre sur laquelle se découpent les effigies de Zola et de Mallarmé symbolise l’expression littéraire. Elle ajoute une profondeur supplémentaire à ces portraits spécialement créés pour la publication américaine.

Entre graphisme et mise en page, au-delà de l’illustration

Au printemps 1895, l’activité de l’illustrateur Vallotton prend une orientation nouvelle. Géographique, avec une première commande pour une publication allemande : la revue berlinoise Pan, dirigée à ses débuts par Otto Julius Bierbaum et Julius Meier-Graefe. Sa contribution aux deux premiers numéros de ce nouveau périodique international est certainement due à Meier-Graefe, qui nourrissait un goût prononcé pour l’art français. C’est sans doute par lui que Bierbaum fait la connaissance de Vallotton. Séduit à son tour par son travail, il lui commande des illustrations pour ses livres (Die Schlangendame et Der bunte Vogel von 1897 en 1896, Stilpe en 1897, Pankrazius Graunzer der Weiberfeind en 1898), et pour la revue Die Insel à partir de 1899. Meier-Graefe et Bierbaum deviennent les plus fervents défenseurs de l’art de Vallotton en Allemagne. Formelle, l’autre nouveauté concerne des projets où la mise en page prend le pas sur l’illustration. Ces projets s’inscrivent dans la collaboration déterminante de Vallotton avec l’éditeur d’estampes, marchand et imprimeur André Marty, pour qui il exécute, entre autres cette année-là, un monogramme et un projet de papier peint. En outre, Vallotton devient surtout le directeur artistique de la Revue franco-américaine du prince André Poniatowski, emploi qui l’amène à créer entre juin et août 1895, pour cette prestigieuse mais éphémère publication, des encadrements, des titres et des vignettes. Au total, il produit 56 dessins de deux sortes : les uns constituent la maquette de la revue (voir, par exemple, Chroniques), tandis que les autres illustrent les textes littéraires ou critiques publiés (voir, par exemple, Le Chemin de fer). Vallotton endosse ainsi le double rôle de graphiste – terme anachronique mais approprié – et d’illustrateur.

En 1895, la diversité et l’intensité de son travail dans le domaine de l’illustration ralentissent sérieusement la production de Vallotton s’agissant de la gravure sur bois, et, à son grand regret, l’obligent à lâcher presque totalement la peinture et la participation aux expositions. Bien que temporaire, ce renoncement témoigne de sa difficulté à concilier des engagements artistiques diversifiés avec une production picturale régulière. En décembre, accaparé par la réalisation des trente dessins pour Les Rassemblements, il écrit à son frère Paul : « Je travaille tout le temps ou à peu près et ne m’en plains pas ; j’ai un courant de petites choses à faire qui suffit à peu près à me faire vivre, en sorte que j’ai bien moins qu’autrefois la préoccupation stérilisante de chercher de l’ouvrage. – La peinture naturellement en pâtit, c’est mon point noir j’en fais peu ou pas32 […]. »

L’image au premier plan dans Les Rassemblements

Conçu, dirigé et préfacé par Octave Uzanne, Les Rassemblements paraît en avril 1896. Cet ouvrage de luxe, tiré à 220 exemplaires et destiné aux bibliophiles, comprend trente dessins de Vallotton reproduits hors-texte. Ils montrent des attroupements dans des rues et des parcs parisiens, et ont la particularité d’avoir précédé les nouvelles qui leur sont associées, commandées à quinze auteurs, tous collaborateurs de La Revue blanche. Dans la plupart des récits, un narrateur observe la scène dessinée par Vallotton, confirmation du rôle prioritaire attribué aux images, qui inverse la relation attendue entre texte et illustration. Uzanne a découvert Vallotton en 1892, lors de la publication dans L’Art et l’Idée, de son article consacré à l’artiste. Dans son « Prologue », illustré par François Courboin d’une vignette où Vallotton est représenté en train de dessiner une foule, observée depuis sa fenêtre, il dit vouloir « redevenir, à l’occasion de ce livre, son introducteur auprès du public33 ». Il se réjouit que ses dessins lui permettent une nouvelle fois « d’affirmer un talent heureusement reconnu, prôné et consacré aujourd’hui parmi ceux de sa génération34 ». Quant à l’attribution des têtes de chapitre au graveur plus conventionnel Courboin, il la justifie par la crainte qu’un ouvrage entièrement « sacrifié au Vallottonisme » ne soit « un peu agressif pour un public encore insuffisamment préparé à l’absolutisme de sa facture35 ».

Sur la page de titre et la jaquette, les illustrations de Vallotton sont qualifiées de gravures, une affirmation accréditée par le choix d’un papier de luxe, le japon impérial, sur lequel elles sont imprimées. Celle-ci est néanmoins prise en défaut par Vallotton lui-même, dont le Livre de raison, le Livre de comptes et la correspondance se réfèrent uniquement à des dessins. Quant à l’historien de l’art allemand Julius Meier-Graefe, il rectifie le tir dès 1898 en affirmant que le livre « contient trente reproductions (et non des gravures comme l’indique le titre) d’après des dessins de Vallotton qui se rapprochent de ses bois, surtout de ses scènes de rues36 ». La supercherie d’Uzanne consistant à qualifier abusivement les illustrations de gravures s’explique par le contexte de l’époque : les xylographies y étaient considérées comme plus précieuses que les reproductions photomécaniques, aussi un ouvrage pour bibliophiles, à tirage limité, vendu 80 francs se devait-il d’être illustré de gravures37.

L’illustrateur de Jules Renard

La collaboration en duo de Félix Vallotton et Jules Renard au Rire se poursuit avec la publication, du 16 novembre 1895 au 4 janvier 1896, dans huit numéros successifs, en pré-originale et sous forme de roman-feuilleton, de La Maîtresse de Renard. Cette comédie, composée de saynètes dialoguées, met en scène Maurice, l’amant, et Blanche, la maîtresse. Texte et dessins, conçus cette fois dans une relation traditionnelle, seront repris dans un volume publié avec une illustration de couverture supplémentaire au cours de l’été 1896. Vallotton a recours à un style proprement minimaliste, qui résume les personnages à des silhouettes aux visages parfois dénués d’yeux et de bouche. Cette simplification radicale montre combien il était en osmose avec l’objectif de Renard, qui visait, comme l’écrit Solange Vernois, un ouvrage où, « dans la tradition du roman-feuilleton, les situations sont schématisées, les personnages stéréotypés à l’extrême38 ».

Le 5 janvier 1896, au lendemain de la publication dans Le Rire du dernier épisode de La Maîtresse, Renard soumet à Vallotton la requête suivante : « Flammarion publie mes Histoires naturelles. J’ai renoncé à les faire illustrer mais je voudrais une couverture. […] Vous sentez-vous le goût de composer cette couverture ? […] Je désirerais quelque chose de très simple et de très spécial. Ce serait votre affaire. Le volume sera petit, mais imprimé, j’espère, sur bon papier et avec soin39. » Entièrement composée par Vallotton, lettres comprises, la couverture d’Histoires naturelles se distingue par l’absence de tout caractère imprimé, contrairement à celles de La Maîtresse puis de Poil de Carotte, en 1902.

Avec Bing, une complicité au cœur de L’Art Nouveau

La « Maison de L’Art Nouveau » est le nom donné par le marchand d’art Siegfried Bing à sa galerie, inaugurée fin 1895 à Paris. Une fructueuse collaboration s’instaure rapidement entre Vallotton et Bing, lequel se positionne comme un fervent promoteur de l’artiste aux talents pluridisciplinaires – gravure, peinture, illustration, graphisme –, en parfaite adéquation avec l’idéal d’art total prôné par L’Art Nouveau40. En février 1896, Vallotton figure au deuxième catalogue de L’Art Nouveau avec trente œuvres : 23 gravures sur bois et sept tableaux. Cette visibilité nouvelle met fin à la période de trois ans où, depuis le Salon des indépendants de 1893, il n’a plus montré sa peinture au public parisien – mais pas à sa collaboration avec Bing, qui lui commande encore une carte publicitaire et une affiche pour L’Art Nouveau. Enfin, en juin 1896, le marchand confie à Vallotton la conception et l’ornementation du catalogue Exposition internationale du livre moderne à L’Art Nouveau, un projet ambitieux consacré à l’univers du livre, dont le comité d’organisation compte parmi ses membres Octave Uzanne et Julius Meier-Graefe. Selon l’achevé d’imprimer, le catalogue est « composé par Félix Vallotton », ce qui inclut sans doute l’agencement graphique de la couverture, des pages liminaires et des pages intermédiaires entre les différentes sections. S’y associent harmonieusement, imprimées en bistre et/ou en noir, une police en caractères minuscules et une ornementation constituée de vignettes animalières – chouettes, chats et cygnes – qui rythme l’ouvrage.

1896 voit aussi se renforcer la présence de Vallotton sur la scène éditoriale allemande. La revue munichoise Jugend lui commande des dessins dès sa création cette année-là et, dans le prolongement de son travail pour le catalogue Bing, il illustre deux ouvrages d’Otto Julius Bierbaum : Die Schlangendame et Der Bunte Vogel von 1897. Il dessine pour cet almanach des vignettes ornementales et l’entier de la couverture, avec une déclinaison d’oiseaux. Le contraste avec les couvertures réalisées au même moment pour Jules Renard souligne la diversité de son répertoire graphique et sa capacité à explorer des esthétiques variées selon les projets et les traditions éditoriales, qu’elles soient allemandes ou françaises, sans trahir son propre style.

La synergie avec Remy de Gourmont et Tristan Bernard

La Revue des revues publie, entre le 15 janvier et le 15 septembre 1896, dix-huit masques de Vallotton en illustrations d’articles de Remy de Gourmont consacrés aux écrivains symbolistes. Textes et images seront repris, avec quelques modifications, dans Le Livre des masques publié fin octobre 1896 aux éditions du Mercure de France. Le titre du livre, choisi par Gourmont, qualifie non seulement son propre travail mais aussi celui de l’illustrateur, considéré comme un véritable partenaire créatif41, ainsi qu’en témoigne l’envoi de l’exemplaire du IIme Livre des masques provenant de la bibliothèque de Vallotton : « À F. Vallotton / ce livre (qui d’ailleurs / est aussi le sien) Remy de Gourmont42. » Cette dédicace confirme l’étroite synergie entre texte et image, et met en lumière l’importance accordée à l’apport artistique de Vallotton dans la conception de l’œuvre. Remy de Gourmont reprend l’idée d’octobre 1897 à mars 1898, cette fois dans le Mercure de France, dont il est l’un des fondateurs et un collaborateur régulier43. Suit, en avril 1898, la publication de cette seconde série de portraits écrits et dessinés dans Le IIme Livre des masques.

La collaboration de Tristan Bernard, l’auteur, et de Félix Vallotton, l’illustrateur, débute avec la parution d’Une affaire d’or, une histoire en images qui préfigure la bande dessinée, dans Le Rire du 13 juin 1896 et se poursuit avec l’illustration de l’ouvrage de son compère Contes de Pantruche [Paris en argot] et d’ailleurs. Premier livre de la « Petite Collection du Rire », ce recueil contient 27 textes drôles et décalés, illustrés de 53 dessins de Vallotton insérés directement dans le texte, en regard des passages correspondants.

Vallotton et Le Cri de Paris, une collaboration majeure

La carrière de Vallotton dessinateur de presse prend un nouveau tournant lorsqu’il rejoint Le Cri de Paris dès son deuxième numéro. Émanation de La Revue blanche à destination du grand public, cet hebdomadaire satirique est fondé en janvier 1897 par Alexandre Natanson. Jusqu’en 1902, Vallotton en illustrera 78 couvertures, sans compter les 54 masques publiés en l’espace d’une année, du 5 juin 1898 au 25 juin 1899. Paul-Henri Bourrelier explique : « Le jardin secret d’Alexandre Natanson est Le Cri de Paris qu’il pilote avec un rédacteur en chef, homme-orchestre. Le Cri bénéficie des informations que lui passent les auteurs de la revue et de ses éditions, certains laissant même parfois le directeur commun choisir la destination d’un texte qu’ils lui proposent44. » Quant à la tendance du périodique : « Le principe consiste à piquer la curiosité des lecteurs par des potins anonymes sur les personnalités en vue et les petits scandales, dans le style narratif que popularisera Le Canard enchaîné. Le Cri prétend qu’il ne fait pas de politique, mais il aborde bel et bien celle-ci par le côté anecdotique et surtout par l’image. La couverture confiée alternativement à des dessinateurs appréciés, le dessin de mode et les conseils de menus lui donnent un style ‹ people › qui fait passer insidieusement le rouge du bandeau, l’orientation masquée des échos et la charge du dessin dérangeant d’Hermann-Paul déployé sur une double page à l’intérieur45. » Les cinq premiers dessins de Vallotton publiés en une du Cri de Paris du 7 février au 20 juin 1897 sont des scènes de rue emblématiques de son travail. Sans titre ni légende, la plupart comprennent deux personnages (voir, par exemple, la couverture du 14 mars 1897). Les six dessins suivants, parus entre le 28 juillet et le 28 novembre dans les numéros d’été et d’automne, sont des scènes de plein air en lien avec la saison (voir, par exemple, Chaud ! les marrons ! Chaud !).

Un engagement en images dans l’affaire Dreyfus

L’engagement politique de Vallotton s’affirme avec force dans Le Cri de Paris. L’illustrateur y signe vingt couvertures, dont un grand nombre consacré à l’affaire Dreyfus. Comme le souligne Raymond Bachollet, Le Cri de Paris « se fit remarquer en 1898 car c’était l’un des seuls périodiques, avec Le Sifflet d’Ibels, à demander la révision du procès du capitaine Dreyfus injustement condamné en 1894, grâce notamment aux illustrations de Vallotton et d’Hermann-Paul46 ». Les deux premiers dessins de Vallotton relatifs à l’Affaire sont emblématiques. Ils se distinguent des suivants par leur encadrement rectangulaire, qui leur confère une vigueur particulière. Le premier, L’Âge du papier, publié le 23 janvier 1898, est le plus célèbre de tous les dessins de presse créés par Vallotton. Ce témoignage à chaud du choc provoqué par la fameuse lettre ouverte d’Émile Zola au président français Félix Faure montre, au premier plan, la une du journal L’Aurore du 13 janvier 1898, avec « J’accuse… ! Lettre au président de la République par Émile Zola ».

Son engagement dreyfusard n’empêche pas Vallotton d’épingler avec humour, dans Le Cri de Paris, d’autres pans de l’actualité, notamment sociétale. Jusqu’à la fin 1900, les sujets des couvertures que Vallotton dessine pour l’hebdomadaire ont un rapport plus ou moins explicite avec des questions liées aux inégalités des classes sociales ou, alors, collent à l’actualité, politique comme l’affaire Dreyfus, la seconde guerre des Boers (voir par exemple Au secours ! À l’assassin !) et la révolte des Boxers (voir, par exemple, Et puis zut à la fin !), ou événementielle comme l’Exposition universelle (voir, par exemple, Et nous allons avoir du monde !). C’est la publication où il peut le mieux déployer son talent de dessinateur de presse en toute liberté. Il y explore diverses solutions stylistiques, joue avec les indices et les allusions, et tire parti des subtilités de la langue française dans la relation entre image et texte, titre et légende, ce qui souvent fait du décryptage de ses dessins un défi pour les lectrices et lecteurs d’alors et d’aujourd’hui.

Une reconnaissance internationale et un tournant artistique

En Allemagne, Vallotton poursuit son exploration du monde ornithologique, entamée en 1896 avec la réalisation de la couverture pour la troisième édition de Pankrazius Graunzer d’Otto Julius Bierbaum. À propos de l’ornementation, domaine que Vallotton réserve aux publications allemandes, Julius Meier-Graefe remarque : « Pour ces essais décoratifs, lorsqu’ils doivent valoir uniquement par le style, Vallotton me semble être le plus heureux lorsqu’il se sert des motifs du monde animal47. » Meier-Graefe voit juste : le monde animal et végétal demeure sa source d’inspiration privilégiée pour développer un langage ornemental très personnel. Cette veine est pleinement exploitée dans la monographie bilingue allemand-français Félix Vallotton, publiée par l’historien et critique d’art allemand à Berlin et à Paris en 1898. Rythmé par des vignettes animalières, le texte est mis en page sur deux colonnes – une par langue – séparées par un motif végétal vertical. Sur les pages impaires, il s’agit d’une fleur avec, en guise de cœur, un visage qui change vingt fois d’expression au fil des pages, allusion à la notion de psychologie à laquelle Meier-Graefe se réfère constamment pour évoquer le travail de Vallotton. Il fait une analyse particulièrement fine des gravures sur bois de celui-ci, dont il dresse le premier catalogue exhaustif, et justifie la publication de sa monographie parce qu’il soupçonne la trajectoire de l’artiste sur le point d’emprunter un tournant décisif. Or il s’avère qu’en avril 1898 Vallotton décide, en effet, de ne présenter que des peintures autour de son triptyque Le Bon Marché48 à la seconde exposition des Nabis chez Ambroise Vollard. C’est une première depuis 1891 et le signe manifeste de sa volonté de s’engager sur une voie nouvelle, comme l’écrit Thadée Natanson : « M. Vallotton, fatigué sans doute qu’on loue ses gravures ou qui attend de s’y être encore surpassé, d’avoir pu réussir le prodige de renouveler un art qu’il a inventé, n’expose cette année que des peintures49. »

Partageant cette opinion, Meier-Graefe n’hésite pas à estimer révolue la période que Vallotton a consacrée à la gravure sur bois et admire la maturité artistique qui le pousse à reprendre la peinture pour élargir son champ d’expression : « La peinture est sa dernière phase, écrit-il ; la période préparatoire, où il trouva tout ce que maintenant il voudrait reporter sur la peinture, a été pour lui la gravure sur bois. On peut dire que cette période ‹ a été › ; car, bien qu’il y ait lieu d’espérer que Vallotton livrera encore mainte planche au public, il lui sera difficile d’ajouter encore beaucoup de notes nouvelles à sa manière, telle qu’elle se manifeste dans ses gravures ; sous les formes les plus multiples il a taillé dans le bois tout ce qui l’émouvait, son œuvre de graveur sur bois forme un tout complet, elle ne peut que subir un agrandissement numérique. C’est ce motif qui semble justifier cette publication qui catalogue l’œuvre d’un artiste, ayant à peine dépassé la trentaine, et qui – nous l’espérons – ne se trouve qu’au commencement d’une brillante carrière artistique50. »

Consécration, transition et nouveaux défis

Les doutes de Meier-Graefe quant à la capacité de Vallotton à innover encore en xylographie se sont certainement évanouis à la découverte d’Intimités51. Cette célèbre suite de dix bois gravés a été reconnue dès sa parution, en novembre 1898 aux éditions de La Revue blanche, comme l’expression la plus aboutie de la synthèse décorative développée par Vallotton, et l’est encore aujourd’hui. Thadée Natanson qualifie Intimités de « chef-d’œuvre » et s’extasie : « Jamais les qualités qu’on lui reconnaissait n’avaient apparu plus fortement. Jamais la maîtrise du graveur n’avait éclaté avec plus d’aisance52. » Puis il dresse un bilan élogieux de la carrière de l’artiste : « L’œuvre considérable qu’il a produit […] [a] familiarisé le public avec le nom et l’art de M. Vallotton. Des études lui ont été consacrées, écrites en toutes langues et récemment un livre tout entier parut simultanément en Allemagne et en France. Il est célèbre. En même temps que nous applaudissions à ses succès de journaliste, d’illustrateur et apprenions à apprécier sa peinture, il nous édifiait sur la variété et les ressources de son art de graveur dont éclatait chaque fois une perfection nouvelle53. »

Début 1899, après la présentation publique d’Intimités, Vallotton raconte à son frère : « Mon exposition a pas mal marché, j’ai un petit peu vendu, et n’en espérais pas plus, elle a eu l’effet que j’en attendais, et j’ai des amateurs tout prêts, il n’y a qu’à produire54. » Mais, au lieu de se reposer sur ses lauriers, il décide de se remettre sérieusement à la peinture, dans l’espoir d’atteindre la notoriété avec ce médium aussi. Un nouveau défi, qui trahit son refus de se cantonner dans un unique mode d’expression : « Je m’affaire de mon mieux et fais de la peinture exclusivement, c’est mon plus grand plaisir, et je compte bien un jour ou l’autre en tirer parti55 », écrit-il encore à son frère. Cette phase de transition dans son travail, qui coïncide avec son mariage, le 10 mai 1899, avec Gabrielle Rodrigues-Henriques ralentit sa productivité, non seulement en matière de gravures sur bois mais aussi de dessins de presse et d’illustrations de livres.

Cette baisse de rendement n’affecte cependant ni La Revue blanche ni Le Cri de Paris. La première publie, en cette année 1899, onze masques de Vallotton (voir, par exemple, Balzac). Quant à ses contributions au Cri de Paris, elles ne régressent pas non plus : des vingt couvertures qu’il crée pour le périodique, la plupart a trait de près ou de loin à l’affaire Dreyfus (voir, par exemple, La Statue du Commandant).

L’afflux des demandes pour des illustrations ne faiblit pas. C’est ainsi qu’à la fin 1899, Vallotton accepte un nouveau mandat en Allemagne, pour l’illustration de la revue Die Insel, fondée depuis peu par Otto Julius Bierbaum, Alfred Walter Heymel et Rudolf Alexander Schröder. Il crée des dessins pour Cyprian Barballe, un conte de Gustave Kahn, et pour une nouvelle de Paul Scheerbart, Rakkóx der Billionär. Ein Protzenroman56. Puis Die Insel publie, entre janvier et juin 1900, sept de ses dessins au trait de femmes nues, qui inaugurent une nouvelle manière, à la fois thématique et stylistique.

Dans la presse new-yorkaise

Au même moment, le travail de Vallotton dépasse les frontières européennes. Aux États-Unis, ses xylographies deviennent le principal vecteur de sa notoriété, comme en témoignent deux articles publiés à New York de Jean Schopfer, le fervent ambassadeur de l’artiste outre-Atlantique. Né en 1868 à Morges, près de Lausanne, Schopfer est déjà collaborateur régulier de La Revue blanche quand Vallotton y entre, et sera l’un de ses témoins de mariage, aux côtés de Thadée Natanson et des marchands d’art Josse et Gaston Bernheim, les frères de la mariée. Il est aussi lié d’amitié avec Vuillard, à qui il a passé commande de plusieurs projets décoratifs. Son propre mariage avec Alice Nye Wetherbee, célébré en 1895 sur la Cinquième Avenue, lui ouvre les portes de la haute société new-yorkaise et de la presse américaine. Dans la foulée, il s’attache à promouvoir les xylographies de Vallotton dans un article paru en mai 1900 dans The Book Buyer57. Y sont reproduits dix bois gravés, ainsi que, grande nouveauté, un portrait photographique de l’artiste pris dans son appartement parisien. Ce tout premier article publié aux États-Unis sur Vallotton met l’accent sur la singularité de sa vision artistique.

En novembre 1900, The Century Illustrated Monthly Magazine publie un article de Jean Schopfer intitulé « In the Crowd at the Paris Exposition » et sous-titré « With Woodcuts drawn and engraved by F. Vallotton ». Jusqu’à présent, cet article a échappé à l’ensemble des exégètes de Vallotton, en dépit du fait que la série de bois gravés L’Exposition universelle ait été spécialement exécutée pour le magazine, comme l’indique le sous-titre de l’article. La symbiose entre texte et images y est si étroite qu’il est impossible de déterminer si le premier commente les illustrations ou si celles-ci illustrent le texte. De plus, l’article est d’une importance majeure pour saisir l’attention dont l’artiste a bénéficié aux États-Unis. Ignorant l’existence de cet écrit, Louis Godefroy en 193258 et à sa suite Maxime Vallotton et Charles Goerg en 197259 ont inventé un titre pour chacune des planches et ont faussement daté de 1901 la suite, parce que, cette année-là, quatre des sujets sur six ont été repris dans la revue berlinoise Die Insel. La date d’exécution de la série, 1900 et non 1901, tout comme les titres français et anglais des planches, ainsi que l’ordre à leur attribuer – une alternance de formats verticaux et horizontaux – sont à corriger d’après cette publication originelle américaine pour laquelle les six bois ont été gravés60.

Grâce à Schopfer, Vallotton a accédé à un réseau artistique new-yorkais alors en pleine effervescence, à un marché ouvert aux esthétiques européennes novatrices. Les articles new-yorkais ne se sont pas bornés à promouvoir son œuvre : ils ont marqué une étape décisive dans la diffusion internationale de son art. En l’exportant au-delà des frontières européennes, il a renforcé son statut d’artiste majeur de son temps, capable de séduire des publics divers tout en préservant une cohérence stylistique remarquable.

Une année en retrait pour mieux frapper

En 1901, la collaboration de Vallotton à La Revue blanche régresse encore pour se limiter à la réalisation de cinq masques (dont Alfred Jarry). Quant à sa contribution au Cri de Paris, elle est quasi nulle, sauf pour deux publicités : pour la fonderie d’art Colin et le chocolat Kohler. Cette défection temporaire est sans doute à mettre sur le compte de l’important travail que représente la réalisation des 23 lithographies de la série Crimes et châtiments. Elle doit paraître dans L’Assiette au beurre le 1er mars 1902, mais est déjà mentionnée à la fin 1901 dans le Livre de raison et le Livre de comptes de Vallotton. D’un point de vue pécuniaire, les 1’000 francs d’honoraires que lui rapporte cette commande correspondent grosso modo à la somme perçue du Cri de Paris sur l’année 1900 pour 22 dessins destinés à des couvertures. Il n’est donc pas surprenant qu’il ait voulu cantonner à l’Assiette au beurre sa production de dessins de presse en 1901.

Toutefois, Vallotton n’a pas refusé de dessiner, dans l’esprit des publicités pour Colin et Kohler, le titre de la revue Femina, un exercice répété l’année suivante pour Musica. Ce travail s’inscrit dans la continuité de ses recherches graphiques, dont la lettre se veut un élément ornemental à part entière61.

Crimes et châtiments, un manifeste visuel contre l’injustice

Fondée au printemps 1901 par Samuel-Sigismond Schwarz, L’Assiette au beurre se distingue par une conception novatrice, sans équivalent dans la presse illustrée de l’époque : les dessins y sont reproduits en pleine page, sans texte hormis des légendes. La primauté accordée à l’image révèle l’attention particulière portée à la qualité formelle. Celle-ci est mise au service d’un contenu essentiellement politique, imprégné d’idées anarchisantes, anticléricales, antimilitaristes, anticolonialistes : dénonciation des injustices sociales, critique de l’État, des valeurs bourgeoises, de l’Église, de la police et des tribunaux. Chaque numéro suit un format standard de seize pages, avec une double page centrale. Il aborde généralement un thème unique, confié à un seul artiste, ou à un petit groupe d’artistes. Quant aux techniques de reproduction mises en œuvre, elles incluent la typographie, la zincographie et la photogravure. Crimes et châtiments, le numéro spécial du 1er mars 1902, composé de 23 lithographies de Vallotton sur 48 pages, constitue donc une exception rare, tant du point de vue du format que du procédé de reproduction.

Cette suite au contenu subversif s’inscrit parfaitement dans la ligne éditoriale du journal. Y sont violemment dénoncés, par l’image et dans les légendes : abus de pouvoir exercés par des individus investis d’autorité, brutalité des représentants de l’ordre et sévérité disproportionnée des châtiments infligés par rapport à la gravité des crimes commis, si crimes il y a. Patron, propriétaire terrien, banquier, mari, curé, juge, militaire, instituteur, nanti, sont cloués au pilori, sans oublier l’agent de police, fustigé dans neuf des sujets. Autant de puissants que Vallotton se régale à stigmatiser, lui qui, « même quand il put s’envelopper d’une robe de chambre douillette et les pantoufles au feu, […] a toujours conservé la façon de voir de ceux qui ne regardent la propriété que de derrière ses grilles et jamais renoncé [à] sa haine native des chiens et des sergents de ville62 ».

Dans un ordre d’idées proche, Vallotton figure, en 1900, avec La Débâcle dans l’album de lithographies des Temps nouveaux, le journal du militant anarchiste Jean Grave. Dans cette planche en lien avec l’affaire Dreyfus, la justice enfin s’élève comme une aube rayonnante, laissant l’armée, l’Église et la magistrature à terre, dans une totale déconfiture. Suivront, deux ans plus tard, deux nouvelles contributions aux Temps nouveaux : un dessin pour la couverture de la plaquette de propagande L’Élection du maire de la commune par le nouveau conseil municipal, et un autre pour l’anthologie Guerre-militarisme. Autant de projets réalisés bénévolement, en soutien à la cause anarchiste63.

Poil de Carotte, la quintessence du duo Vallotton-Renard

De plus grande envergure, l’autre travail qui accapare Vallotton durant l’année 1902 est l’illustration, avec 51 dessins, de l’édition définitive du livre de Jules Renard Poil de Carotte, l’ultime collaboration des deux amis sur un même projet. Le chef-d’œuvre de Jules Renard est constitué de courts récits autobiographiques, où sont relatés avec une subtile ironie et sans ordre chronologique les épisodes d’une enfance malheureuse et les humiliations subies par l’auteur, le benjamin d’une fratrie de trois. L’édition définitive, qui compte cinq récits de plus que la première édition de 1894, paraît à la fin 1902. Chaque historiette est introduite par une illustration circonscrite dans un rectangle, avec une zone réservée au titre du chapitre calligraphié par Vallotton et intégré à la composition. Le nombre d’illustrations correspond donc précisément au nombre de récits. Les 51 dessins seront payés 1’000 francs à Vallotton, la somme la plus élevée portée à son Livre de comptes en 1902, égale à l’honoraire perçu précédemment pour les 23 lithographies de Crimes et châtiments.

L’illustration de Poil de Carotte est une œuvre majeure, où l’harmonie entre texte et image atteint une rare perfection. Cette dernière création en duo avec Renard constitue un sommet dans la carrière de Vallotton. Elle témoigne de son talent à transposer l’univers ironique et sensible de l’écrivain dans une esthétique du dépouillement qui incarne le style concis de ce dernier.

Une page se tourne

L’année 1902 signe l’adieu de Vallotton à La Revue blanche, avec un unique et ultime dessin, un portrait de Maxime Gorki en pleine page. À la fin juin, après lui avoir livré six dernières couvertures (dont Le Ciment de l’alliance), il cesse aussi sa collaboration au Cri de Paris. Quant à l’emblématique Revue blanche, sa disparition définitive en 1903 marque le terme d’un certain âge d’or de la presse d’avant-garde, qui fut si bénéfique à la carrière de Vallotton, d’une ère particulièrement féconde dans le milieu littéraire et artistique qui gravitait autour d’elle.

Vallotton, pour sa part, s’active dès 1902 avec ardeur à sa peinture qui éclipse presque totalement la gravure, partiellement l’illustration et le dessin de presse. Cette transition prend tout son sens à la lecture des mots qu’il adresse alors à l’éditeur d’estampes Edmond Sagot à propos d’un bois gravé réalisé en 1893 : « Je m’occupe de choses très autres et suis un peu sorti du courant64… » Elle clôt un chapitre de sa carrière, tout en ouvrant la voie à une période où il s’affirmera avec une peinture nourrie de son héritage de graveur et d’illustrateur.

Au Canard sauvage, retour à la satire

Vallotton revient toutefois occasionnellement à l’illustration et au dessin de presse. Par exemple, pour une collaboration plus conséquente au Canard sauvage, un hebdomadaire satirique et littéraire à tendance anarchiste, anticléricale et antimilitariste, publié en 31 fascicules de seize pages du 21 mars au 18 octobre 1903. Chaque numéro comprend jusqu’à dix dessins, dont la plupart en pleine page et en couleurs sur la première et la quatrième de couverture.

On sait peu de choses d’Edmond Chatenay, pseudonyme de Joseph Werner, l’éditeur de cette publication. Parmi les rédacteurs permanents, Alfred Jarry se distingue par sa participation à tous les fascicules hormis le onzième. Plusieurs collaborateurs viennent de La Revue blanche, dont le dernier numéro a paru le 15 avril 1903. L’équipe compte aussi des illustrateurs réguliers tels que František Kupka, Auguste Roubille et Théophile Alexandre Steinlen. Quant à Hermann-Paul65, Félix Vallotton et Paul Iribe, ils fournissent chacun un ou deux dessins par fascicule, du premier au dernier numéro. Après un mois d’existence, Le Canard sauvage consacre chaque livraison à une thématique en lien avec l’actualité, le plus souvent politique. Jusqu’à la brusque interruption de la publication, le 18 octobre 1903, Vallotton y contribue avec 47 dessins au total, lesquels, en accord avec l’humour et le ton anticonformiste du journal, fustigent la bourgeoisie, les hommes politiques, le clergé, et dénoncent la brutalité de la police et des militaires (voir, par exemple, Les Réformes en Turquie).

Contributions sporadiques dans la presse

En octobre 1906, Vallotton accepte un nouveau travail de dessinateur de presse pour Le Témoin, périodique tout juste fondé par le dessinateur Paul Iribe, qui en assure la direction artistique et la conception graphique. Cette dernière inaugure une nouvelle esthétique dans la presse satirique française. Son style visuel, caractérisé par un minimalisme préfigurant l’Art déco, se distingue par une mise en page innovante, des typographies modernes et audacieuses. Le format presque carré accorde une place prépondérante aux images, reproduites pour la plupart en pleine page. Bien qu’Iribe signe lui-même les publicités et quelques couvertures, il s’entoure, dès le lancement du journal, de dessinateurs connus : Auguste Roubille, George Delaw, Jean-Louis Forain, Lyonel Feininger, et Félix Vallotton dont la contribution consiste en cinq dessins publiés dans les quatre premiers numéros (voir, par exemple, Vingt ans après).

Vallotton accepte encore, au printemps 1907, les sollicitations de Jacques Rouché, le futur directeur de l’Opéra de Paris, qui vient d’acquérir La Grande Revue. Sous sa direction, jusqu’en 1940, celle-ci est entièrement repensée, vers une orientation éditoriale axée principalement sur la littérature et la culture. Rouché, qui est passionné par les arts plastiques et s’entoure d’artistes, fait appel, pour le seconder à la direction artistique, à George Desvallières, le vice-président de la section « Peinture » du Salon d’automne. Indépendance, éclectisme et modernité sont les maîtres mots de ce programme de refonte, dont la principale innovation est cependant l’introduction d’illustrations. D’où le recours à plusieurs artistes – Félix Vallotton66, Maurice Denis, Charles Guérin, Maxime Dethomas, et Desvallières lui-même – pour dessiner des têtes de chapitre et culs-de-lampe, qui n’illustrent pas les textes, mais en marquent le début et la fin et rythment ainsi la mise en page. Vallotton débute sa contribution avec une série de neuf vignettes ornementales qui seront publiées régulièrement jusqu’en 1922, voire au-delà. À ces illustrations de nature architectonique et décorative s’ajouteront, du 10 décembre 1907 au 10 décembre 1908, treize dessins représentant des hommes politiques, principalement des parlementaires de gauche. Insatisfait de sa première tentative, Vallotton écrit à Jacques Rouché : « Je n’ai pu malgré mes essais nombreux mettre sur pied un Clemenceau qui soit possible. J’ai un peu perdu la main, car ce genre de travaux exige une continuité dont 3 ou 4 années de peinture m’ont distrait. Si donc vous pouviez me remplacer pour cette fois-ci ça me rendrait service. Je reprendrai volontiers l’essai un peu plus tard67. » Les deux premiers dessins publiés, des portraits de Georges Clemenceau et de Jean Jaurès, sont dépourvus d’encadrement dessiné. En découle un flottement auquel George Desvallières pense qu’il serait aisé de remédier, comme il l’écrit à Vallotton le 18 janvier 1908 : « […] j’aurais à causer avec vous de la Gde Revue et de vos dessins politiques. Rouché trouve qu’ils ne se présentent pas bien. J’aimerais causer de cela avec vous, pour arriver à un résultat qui satisfasse aussi bien le directeur que vous-même. Je trouve que ces dessins ne portent pas comme ils le devraient, ce n’est pas la qualité du dessin naturellement qui est en cause c’est sa présentation68. » Desvallières met ainsi le doigt sur la force incomparable que dégagent les dessins circonscrits dans un rectangle par opposition aux dessins flottants, une observation qui s’applique à l’ensemble du travail de Vallotton en matière d’illustrations et de dessins de presse.

« C’est la Guerre ! » entre choc et création

Après 1908 et jusqu’à la Première Guerre mondiale, Vallotton abandonne presque totalement l’illustration. Le 2 août 1914, il est bouleversé à la lecture de l’ordre de mobilisation générale. Néanmoins la guerre éveille bientôt en lui une force créatrice nouvelle : elle devient une source d’inspiration, un catalyseur pour ses réflexions et un moyen de diversifier ses modes d’expression. Comme il l’analysera en 1917 : « La feuille volante est le véhicule rêvé, elle se multiplie, s’insinue et va partout, alors que le tableau, plus solennel et pesant, attend l’amateur à poste fixe et ne se meut guère69. » Aussi, après plus d’une décennie dédiée exclusivement à la peinture, il renoue à la fois avec le dessin de presse, pour le périodique La Grande Guerre par les artistes, et avec la xylographie pour la réalisation des six planches de l’album « C’est la Guerre ! »70 qui dénoncent les horreurs du conflit.

« Je vais pour me raccrocher au travail essayer de faire un dessin pour une publication, les idées ne sortent pas, la main est lourde, c’est tout un métier à reconquérir71 », note-t-il dans son Journal le 21 octobre 1914, alors qu’il entreprend sans doute son premier dessin pour La Grande Guerre par les artistes. Il livrera d’abord trois dessins humoristiques à cette publication patriotique (voir, par exemple, Dans les tranchées), qui paraît deux fois par mois à partir de novembre 1914, avant de dessiner toutes les illustrations du seizième numéro, qui incluent huit portraits de chefs militaires et hommes politiques aussi bien français qu’alliés et ennemis. Vallotton prend aussi la plume pour analyser les moyens dont dispose l’artiste pour représenter la guerre moderne. Dans un article intitulé « Art et guerre », publié en décembre 1917 dans la revue littéraire Les Écrits nouveaux, il écrit notamment : « La guerre !… / J’ai souvent pensé, alors que hanté comme chacun du retentissement intérieur qu’éveillent de telles syllabes, qu’en elles était peut-être la plus forte expression de la chose. Le mot est magnifique, il est évocateur, et sonne en clair toutes ses plus redoutables significations ; aucun qualificatif ne saurait l’augmenter ou l’attiédir, et le jour où je le vis surgir en caractères gras le long des murs, je crois bien avoir ressenti la plus forte émotion de ma vie. / La guerre !… / Quel commentaire ajouter à cet éclat72 ? » Et c’est précisément ce mot, « guerre », qui jaillit sur la couverture de l’album « C’est la Guerre ! », dont les lettres, dessinées de sa main, sont accompagnées d’éclaboussures d’encre rouge évoquant du sang projeté.

À côté de tableaux tels que Verdun73, ces réalisations témoignent de l’engagement artistique de Vallotton pendant la Première Guerre mondiale et soulignent sa contribution au discours visuel de cette période.

Le pointillé final

Vallotton suspend le dialogue entre l’encre et le papier jusqu’à l’été 1921. Il entreprend alors, dans une nouvelle manière, sept illustrations pour son roman La Vie meurtrière, écrit en 1907, et trois pour Un cœur simple de Gustave Flaubert. Ces dessins se distinguent par le recours au pointillé pour finement restituer des dégradés, à la façon de la technique du crachis lithographique. Une année avant sa mort, Vallotton mettra en œuvre le même procédé dans une planche conçue pour l’album L’Âme du cirque de son amie Louise Hervieu, son ultime travail d’illustrateur. Ces derniers projets créés au moyen d’une nouvelle technique constituent une conclusion symbolique de son œuvre graphique.

Témoins de leur époque, les dessins de Vallotton révèlent l’acuité de son sens de l’observation et son talent à situer ses contemporain⋅e⋅s, qu’il s’agisse de personnes précises, de rôles, d’archétypes sociaux ou de foules, mais aussi à appréhender les contradictions et les tensions sociales qui traversent la société de la fin du xixe siècle. Sa maîtrise des codes esthétiques se manifeste dans sa capacité à adapter son langage graphique aux différents contextes d’énonciation – revues, journaux, livres, affiches ou publicités – et aux attentes spécifiques de leurs publics, qu’ils soient français, allemands ou américains.

Discrètement mais fermement engagé dans ses convictions, Vallotton, anarchiste, anticolonialiste et dreyfusard, critique la bourgeoisie et l’autorité d’un trait précis, porté par un humour mordant et une ironie subtile. C’est dire que ses illustrations ne sont pas de simples travaux alimentaires, mais des œuvres où la motivation idéologique s’associe à une virtuosité manifeste, dont la puissance expressive s’affirme dans des compositions rigoureusement structurées. Ce style, reconnaissable entre tous, s’adapte avec finesse à chaque projet. Il s’enrichit également d’allusions et de jeux de mots. L’aisance de Vallotton à manier de front l’image et le verbe, le visible, le dicible et le lisible dans un rapport à la langue toujours précis, ajoute une dimension textuelle à sa maîtrise visuelle.

Loin de se reposer sur une formule répétitive, Vallotton renouvelle sans cesse son approche, fertile et variée. Cette dynamique confère à ses illustrations une force et une profondeur qui ont saisi ses contemporain·e·s autant qu’elles semblent interpeller jusqu’au XXIe siècle. Ses images dépassent ainsi la simple fonction de témoignage historique : en dépit du contexte spécifique de leur création, elles continuent de retenir l’attention par l’inventivité de leur langage visuel et l’engagement socio-politique qu’elles traduisent.

Si elles résonnent encore aujourd’hui, c’est parce qu’elles démontrent la puissance du lien entre image et mot, l’efficacité du dessin de presse comme outil d’expression mais aussi de dénonciation, et la précision d’un trait minimaliste mais percutant. Subtiles et mordantes, elles soulignent combien la synthèse visuelle est essentielle à la communication. Naviguant avec aisance entre médiums et registres, Vallotton se révèle ainsi non seulement comme un témoin de son temps, mais aussi comme un artiste dont la modernité continue d’éclairer notre regard.


  1. Ce texte est une version abrégée de celui publié dans Poletti, 2025, pp. 16-78.↩︎

  2. Koella et Poletti, 2012.↩︎

  3. Félix Vallotton, Romans et théâtre, 2025.↩︎

  4. Vallotton et Goerg, 1972.↩︎

  5. Ducrey, 2005.↩︎

  6. St James, 1979 ; Morel, 2001 ; Morel, 2002.↩︎

  7. Le manuscrit du Livre de raison est conservé à la Fondation Félix Vallotton, Lausanne. Il est reproduit en fac-similé dans le catalogue raisonné de l’œuvre peint (Ducrey, 2005, vol. I, pp. 267-311).↩︎

  8. Sur cette question, voir Burkhalter, 2025.↩︎

  9. Vallotton et Goerg, 1972, nos 222 à 232.↩︎

  10. Le manuscrit du Livre de comptes est conservé à la Fondation Félix Vallotton, Lausanne.↩︎

  11. Vallotton et Goerg, 1972, no 226. Le Livre de comptes indique : « Pardon breton d’ap Dagnan-Bouveret eau-forte, pour Jouaust 100. » Georges Lafenestre, Le Livre d’or du Salon de peinture et de sculpture, Paris : Librairie des bibliophiles (Jouaust), 1889.↩︎

  12. Vallotton et Goerg, 1972, no 227. Le Livre de comptes indique : « Hameau breton d’après Jules Breton. Gazette des Beaux-arts 300. » Gazette des beaux-arts, 1er décembre 1889, p. 614.↩︎

  13. Lettre de Félix Vallotton à son frère Paul, 19 janvier 1892, Fondation Félix Vallotton, Lausanne.↩︎

  14. Les autres contributions de Vallotton pour Louis Joly comportent, en 1893, un ex-libris gravé sur bois et deux ex-libris imaginaires gravés sur cuivre : ceux de Charles Baudelaire et d’Alfred de Musset ; en 1894, la suite de zincographies Paris intense (Vallotton et Goerg, 1972, nos 45 à 51) et, en 1894-1895, la série Portraits choisis (Vallotton et Goerg, 1972, nos 150 à 160).↩︎

  15. Manuscrits et archives privées de la bibliothèque de Genève, fonds Papiers Charles Eggimann et Papiers Mathias Morhardt.↩︎

  16. Zévaco, 1894, p. 8.↩︎

  17. Non signé, « Bibliographie », La Revue blanche, décembre 1892, p. 352.↩︎

  18. « Mon cher Vallotton / Romain Coolus dont je vous ai parlé pour un portrait sur bois ira vous voir dimanche matin si cela ne vous dérange pas. » Lettre d’Édouard Vuillard à Félix Vallotton, 17 novembre 1893, Fondation Félix Vallotton, Lausanne. Romain Coolus, 1894, xylographie, 15,1 × 12,2 cm (Vallotton et Goerg, 1972, no 132).↩︎

  19. Les projets qui associent Romain Coolus et Félix Vallotton sont : « Exodes et Ballades », La Revue blanche, 1er août 1895 et 15 mars 1896 ; « Taloche », Revue franco-américaine, août 1895 ; « L’enterrement » et « Les affiches lumineuses », in Octave Uzanne (éd.), Badauderies parisiennes. Les rassemblements. Physiologies de la rue, Paris, Henry Floury pour Les Bibliophiles indépendants, 1896 ; L’Enfant malade en 1897. Un exemplaire de l’édition originale du livre de Romain Coolus, Le Marquis de Carabas (Paris, Éditions de La Revue blanche, 1900), comporte l’envoi suivant à Vallotton : « Je t’offre, Ô Vallotton, ces vers en souvenir d’anciens hivers où sur le résonnant bitume nous attardions notre amertume. Coolus » (Librairie Pierre Saunier, Paris).↩︎

  20. Vallotton éditera, chez Louis Joly en 1894-1895, la série Portraits choisis (Vallotton et Goerg, 1972, nos 150 à 160), composée de onze portraits gravés sur bois en 1894, initialement prévus pour un projet éditorial finalement abandonné, en collaboration avec André Marty et Romain Coolus, dans le prolongement des rondels parus dans Le Chasseur de chevelures.↩︎

  21. L’importance de l’implication de Vallotton ressort de l’examen de la correspondance d’André Marty : Letters and manuscripts received by André Marty, Getty Research Institute, Los Angeles, et des lettres de Vallotton à Marty conservées à la Fondation Félix Vallotton, Lausanne.↩︎

  22. L’Estampe originale. Revue mensuelle des arts d’impression, no 16, juillet 1896, p. 3.↩︎

  23. Des échanges épistolaires attestent que les légendes des dessins de Vallotton parus dans Le Rire sont dues à Jules Renard.↩︎

  24. Sur cette question, voir Schuh, 2025.↩︎

  25. Lettre de Félix Vallotton à son frère Paul, 28 décembre 1892, Fondation Félix Vallotton, Lausanne.↩︎

  26. Thadée Natanson, « Un cynique : Charles Maurin », in Natanson, 1948, p. 167. Voir aussi Thadée Natanson, « Le très singulier Vallotton », in Natanson, 1948, p. 308.↩︎

  27. Selon Julius Meier-Graefe, tout comme La Manifestation (Vallotton et Goerg, 1972, no 110), La Charge (Vallotton et Goerg, 1972, no 128) « a également été exécutée en 1893, lors des attentats anarchistes ». (Meier-Graefe, 1898, p. 43.)↩︎

  28. Sur cette question, voir Morel, 2001, p. 194. Le 12 juillet 1893, l’artiste Philippe-Charles Blache écrit à Vallotton : « Chaudes journées passées au quartier ces temps-ci vous en savez quelque chose par les journaux sans doute ? – Impressions inoubliables – j’ai pensé à vous – mais j’aimais autant vous savoir chez vous. Vous auriez pu ‹ écoper › durement – Tâchez donc de vous faire franciser quelque bête que soit cette question de patrie ! – afin d’être avec nous – à l’occasion et en toute assurance – libre – libre de voir – de vivre – & de se faire casser la… ‹ margoulette › dans la rue – sans risquer la conduite à la frontière ce qui serait vexant. » (Documents, vol. I, lettre 42, p. 95.)↩︎

  29. Lettre de Félix Fénéon à Octave Mirbeau, 10 janvier 1895, citée par Isabelle Cahn, « Il fut La Revue blanche », in Isabelle Cahn et Philippe Peltier (éd.), Félix Fénéon. Critique, collectionneur, anarchiste, cat. exp. (Paris, Musées d’Orsay et de l’Orangerie, Musée du Quai Branly – Jacques Chirac ; New York, The Museum of Modern Art, 2019-2020), Paris : RMN-Grand Palais, 2019, p. 160, note 6.↩︎

  30. Lettre de Remy de Gourmont à Félix Vallotton, 2 novembre 1895, in Documents, vol. I, lettre 72, p. 132.↩︎

  31. Voir la lettre de Jules Renard à Félix Vallotton, 27 février 1895 : « Je n’ai pas encore commenté votre dessin pour le rire puisque nous devons d’abord nous concerter. » (Documents, vol. I, lettre 64, p. 126.)↩︎

  32. Lettre de Félix Vallotton à son frère Paul, décembre 1895, in Documents, vol. I, lettre 74, pp. 133-134.↩︎

  33. Octave Uzanne, « Prologue. Félix Vallotton et l’origine de ce livre des Rassemblements. La bibliophilie et la jeunesse littéraire contemporaine », in Octave Uzanne (éd.), Badauderies parisiennes. Les Rassemblements. Physiologies de la rue, Paris : Henri Floury pour Les Bibliophiles indépendants, 1896, p. II.↩︎

  34. Ibid., p. I.↩︎

  35. Ibid., p. VIII.↩︎

  36. Meier-Graefe, 1898, p. 60.↩︎

  37. Sur ce point, voir Royère et Schuh, 2015, p. 210 et 235.↩︎

  38. Vernois, 1990, p. 48.↩︎

  39. Lettre de Jules Renard à Félix Vallotton, 5 janvier 1896, in Documents, vol. I, lettre 77, p. 142.↩︎

  40. À ce sujet, voir Gabriel P. Weisberg, « Félix Vallotton, Siegfried Bing, and L’Art Nouveau », Arts Magazine, vol. 60, no 6, février 1986, pp. 33-37.↩︎

  41. À ce sujet, voir Salé, 2008.↩︎

  42. Fondation Félix Vallotton, Lausanne, ancienne bibliothèque Félix Vallotton, don de Michel Vallotton en 2016.↩︎

  43. La collaboration de Vallotton avec la Revue des revues s’interrompt entre le 15 septembre 1896 et le 1er novembre 1897. Elle reprend ensuite, sans Remy de Gourmont, avec 34 nouveaux masques publiés sur une année, entre le 1er novembre 1897 et le 15 octobre1898, illustrant neuf articles consacrés à des écrivains contemporains.↩︎

  44. Paul-Henri Bourrelier, « L’engagement des intellectuels et les dessins du Cri de Paris », in La Revue blanche et Le Cri de Paris. Vallotton, Hermann-Paul, Capiello… (cat. exp.), Paris, 2007, p. 19.↩︎

  45. Ibid.↩︎

  46. Bachollet, 2003, p. 465.↩︎

  47. Meier-Graefe, 1898, pp. 61-62.↩︎

  48. Le Bon Marché, 1898, huile sur carton, 70 × 50 cm, 70 × 100 cm, 70 × 50 cm, collection particulière (Ducrey, 2005, no 241).↩︎

  49. Thadée Natanson, « Petite gazette d’art », La Revue blanche, 15 avril 1898, p. 618.↩︎

  50. Meier-Graefe, 1898, pp. 10-11.↩︎

  51. Vallotton et Goerg, 1972, nos 188 à 197.↩︎

  52. Thadée Natanson, « Petite gazette d’art. De M. Vallotton », La Revue blanche, 1er janvier 1899, pp. 74-75.↩︎

  53. Ibid.↩︎

  54. Lettre de Félix Vallotton à son frère Paul, [début 1899], in Documents, vol. I, lettre 126, p. 188.↩︎

  55. Lettre de Félix Vallotton à son frère Paul, 31 décembre 1898, in Documents, vol. I, lettre 123, p. 182.↩︎

  56. Rakkóx der Billionaer paraît en volume à la fin 1900.↩︎

  57. Schopfer, 1900.↩︎

  58. Godefroy, 1932, nos 208 à 213.↩︎

  59. Vallotton et Goerg, 1972, pp. 225-231.↩︎

  60. Ordre et titres français sont indiqués dans la lettre de Jean Schopfer à Robert Underwood Johnson, 15 juin 1900, qui accompagnait l’envoi des épreuves (Century Company Records, Manuscripts and Archives Division, The New York Public Library). Quant aux titres anglais, ils figurent sous chacune des illustrations de l’article. Ainsi ordre et titres sont-ils les suivants : I. À la bijouterie / Looking at the jewels ; II. Le Déjeuner en plein air / The Family picnic lunch ; III. L’Averse / The Shower ; IV. Rue d’Alger / The Street of Algiers ; V. La Passerelle / A Foot-bridge ; VI. Le Feu d’artifice / Fireworks.↩︎

  61. Sur cette question, voir Burkhalter, 2025.↩︎

  62. Thadée Natanson, « Le très singulier Vallotton », in Natanson, 1948, p. 308.↩︎

  63. Vallotton reprendra le thème de l’antimilitarisme et du pacifisme avec des illustrations pour deux cartes postales de la Ligue internationale pour la défense du soldat en 1904 et une troisième du Comité d’entente internationale pour le désarmement universel en 1907.↩︎

  64. Lettre de Félix Vallotton à Edmond Sagot, 20 novembre 1902, fonds Sagot-Le Garrec, bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, collections Jacques Doucet, Paris.↩︎

  65. Quatre lettres adressées par Hermann-Paul à Félix Vallotton entre le 26 février et le 28 août 1903 (Fondation Félix Vallotton, Lausanne) mettent en évidence le rôle majeur que Hermann-Paul jouait auprès de la direction du Canard sauvage et les conditions d’engagement de Vallotton.↩︎

  66. Grâce à George Desvallières, les peintres et les dessinateurs se transforment occasionnellement en journalistes pour La Grande Revue. Ainsi Vallotton, qui publie en 1907 une critique du Salon d’automne : « Au Salon d’automne », La Grande Revue, 25 octobre 1907, pp. 916-924 (voir Koella et Poletti, 2012, pp. 125-136).↩︎

  67. Lettre de Félix Vallotton à Jacques Rouché, non datée, écrite en 1907, Bibliothèque nationale de France, Paris, bibliothèque-musée de l’Opéra.↩︎

  68. Lettre de George Desvallières à Félix Vallotton, 18 janvier 1908, in Documents, vol. II, lettre 209, p. 131.↩︎

  69. Félix Vallotton, « Art et guerre », Les Écrits nouveaux, tome I, no 2, décembre 1917 (voir Koella et Poletti, 2012, p. 153).↩︎

  70. Vallotton et Goerg, 1972, nos 212 à 217.↩︎

  71. Félix Vallotton, Journal, 21 octobre 1914 (Documents, vol. III, p. 39).↩︎

  72. Koella et Poletti, 2012, p. 153.↩︎

  73. Verdun, 1917, huile sur toile, 115 × 146 cm, Paris, musée de l’Armée (Ducrey, 2005, no 1207).↩︎